Pour être performante, une caisse de retraite doit être en mesure de faire croître la valeur de son actif. Et pour y arriver, elle doit bénéficier des services d’un gestionnaire de fonds performant. En théorie, l’équation est des plus simples. Mais en réalité, choisir judicieusement un gestionnaire de fonds est tout sauf simple.

« C’est extrêmement difficile de sélectionner un gestionnaire qui va ajouter de la valeur, il n’y pas de recette magique », lance d’emblée René Delsanne, professeur retraité de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et consultant en régimes de retraite.

Avant même de se pencher sur la question de la performance, certaines considérations de base devraient d’abord être prises en compte, comme la solidité financière de l’entreprise et la place qu’occupe la gestion d’actif au sein de l’ensemble des activités de l’organisation, explique Carl Wiseman, conseiller principal en investissement chez Towers Watson « Une petite division de gestion d’actif au sein d’une grande organisation est plus sujette aux rebondissements », prévient-il.

Vérifier que l’historique de rendement a été réalisé par le personnel en place est aussi un bon réflexe à avoir. Les caisses de retraite devraient également se soucier du risque lié au départ d’un individu clé au sein de la firme, un risque qui est relativement répandu au Canada, selon M. Wiseman. « La performance ne doit pas être le premier critère à prendre en considération dans la sélection d’un gestionnaire de fonds », résume-t-il, préférant mettre l’accent sur la compétence et la stabilité.

Christian Gagnon, conseiller en investissement chez Eckler, ajoute que la firme doit disposer de suffisamment de ressources pour offrir de bons services aux investisseurs et se montrer disponible pour donner des présentations à la demande du client. Cela dit, la question de la performance ne peut évidemment pas être éclipsée dans le domaine de la gestion de portefeuille.

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René Delsanne, de son côté, prône la prudence. « Ces firmes ont d’excellents spécialistes en développement des affaires, leurs documents sont tous beaux, elles investissent énormément en marketing et elles sont toutes capables de vous dire qu’elles vont ajouter de la valeur. Soit elles ont de bonnes performances, soit elles ont de bonnes raisons pour justifier leurs mauvaises performances », soutient-il.

Quoi faire pour ne pas se laisser impressionner par les beaux discours des gestionnaires ? « Il faut savoir ce que l’on cherche, bien faire ses devoirs et bien connaître l’industrie pour reconnaître les caractéristiques d’un gestionnaire qui va ajouter de la valeur », répond-il.

Pour Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), le secret est d’adopter une démarche très rigoureuse. « Souvent, les comités de retraite sont impressionnés par les bons rendements sur une courte période, mais il faut être prudent et voir à long terme. »
Lorsqu’il sélectionne un gestionnaire de fonds pour un certain mandat, le comité de retraite doit d’abord être à l’aise avec la stratégie d’investissement mise de l’avant. « C’est bien important de comprendre le style du gestionnaire », confirme Michel Nadeau.

« Si on ne comprend pas une stratégie d’investissement, vaut mieux s’abstenir », insiste de son côté René Delsanne, qui juge également exagéré l’accent mis sur l’historique de rendement. « Est-ce que le contexte sur les marchés était le même que celui que l’on va observer dans les prochaines années ? », se questionne-t-il.

« Une bonne performance historique amène une certaine confiance, mais il faut aussi voir si la performance concorde avec la stratégie, poursuit Christian Gagnon. Si une stratégie ne réagit pas comme elle le devrait dans un certain contexte de marché, que ce soit à la hausse ou à la baisse, il faut se poser des questions. »

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Les inévitables frais de gestion
Qui dit gestion active dit également frais de gestion. Doivent‑ils constituer une préoccupation centrale dans le choix d’un gestionnaire ? « Ils ne devraient pas être le premier facteur à considérer, mais ils peuvent effectivement influencer le choix », estime Michel Nadeau. Selon lui, les caisses de retraite devraient d’abord trouver les meilleurs talents, puis négocier les frais de gestion.

Un conseil qui ne sera pas toujours facile à appliquer dans la réalité, prévient toutefois Christian Gagnon. « Généralement, les grandes firmes de gestion sont plutôt frileuses à l’idée de négocier leurs frais. Elles évitent cela le plus possible pour se montrer équitables envers leurs clients existants », mentionne-t-il, en admettant que ce sont souvent les frais de gestion qui vont déterminer le choix final.

Carl Wiseman explique pour sa part que les caisses de retraite doivent s’attendre à payer des frais plus élevés pour certaines catégories d’actifs qui requièrent un suivi plus pointu, comme les infrastructures ou les fonds de couverture.

Faire affaire avec le même gestionnaire pour plusieurs stratégies peut toutefois avoir pour effet de réduire les frais, affirme Christian Gagnon, qui n’encourage pas pour autant les comités de retraite à confier l’ensemble de leurs mandats à un seul gestionnaire. « Certaines firmes peuvent être très fortes en gestion obligataire, mais beaucoup moins en gestion d’actions mondiales, par exemple. Confier des mandats à plusieurs firmes permet de diversifier les risques. »

Bye bye gestionnaire ?
Voilà plusieurs trimestres qu’un gestionnaire sous-performe et les membres du comité de retraite commencent à s’impatienter. L’heure est-elle venue de lui dire au revoir ? Patience, disent certains des experts consultés.

« Il faut avoir confiance dans la stratégie du gestionnaire et faire preuve de patience », estime Michel Nadeau, qui est d’avis que les comités de retraite sont souvent « trop rapides sur la gâchette ». « Dans bien des cas, la performance va être de retour si on laisse une chance au gestionnaire. »

Même son de cloche chez René Delsanne : « Si l’insatisfaction est liée à des questions d’éthique, c’est un cas de congédiement immédiat. Mais autrement, il ne faut pas être trop pressé. »

D’autant plus que les frais de transaction liés à un changement de gestionnaire ne sont pas à négliger. Selon Carl Wiseman, elles peuvent souvent équivaloir à un an de frais de gestion. « Les gens ne s’en rendent pas compte, mais changer de gestionnaire, c’est loin d’être gratuit. Dans une période où les marchés sont illiquides, une telle opération peut s’avérer encore plus coûteuse. »

« On ne doit jamais embaucher ou congédier un gestionnaire uniquement en fonction de sa performance. Il faut chercher s’il y a quelque chose qui s’est brisé dans l’organisation », poursuit M. Wiseman. Certains signaux devraient alerter les comités de retraite, comme une acquisition, qui peut être accompagnée d’un changement de philosophie et du personnel en charge du mandat, ou encore une stratégie d’investissement qui ne se prête plus à l’environnement actuel de marché.

Avant de mettre un gestionnaire à la porte, mieux vaut donc identifier clairement la source de l’insatisfaction. « Si l’insatisfaction provient de la performance, il faut savoir pourquoi on a retranché de la valeur », conseille René Delsanne, en prévenant les caisses de retraite de se méfier des explications des gestionnaires qui tentent de justifier leurs mauvais rendements. « Si on juge que leurs explications ont du sens, on peut être plus patient », tempère-t-il toutefois.

Quand on se compare, on se console ?
Pour juger de la performance de son gestionnaire de fonds, encore faut-il avoir un étalon de comparaison. Si les indices de référence sont un bon point de départ, ce serait une erreur de se cantonner à cette seule méthode d’évaluation. « Il faut faire bien attention avec les indices de référence, certains ont des biais. Il y en a qui sont plus faciles à battre que d’autres, soutient M. Delsanne. Si votre gestionnaire a ajouté 1 % à l’indice, mais que tous les autres ont ajouté 3 %, il faut se poser des questions. »

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Carl Wiseman partage le même avis. « Le TSX, par exemple, est biaisé de par sa très grande concentration. C’est un indice qui n’est pas très pertinent parce qu’il est facile à battre. C’est la même chose pour les indices de petites capitalisations et pour l’immobilier. On doit donc analyser le rendement d’un ensemble de gestionnaires qui ont des styles semblables pour se faire une idée plus juste. »

Surpasser les indices en période de croissance, c’est bien, mais ne pas soustraire de valeur dans un marché baissier, c’est encore mieux, croit pour sa part Christian Gagnon. « C’est quand le marché est négatif que c’est le temps de battre l’indice. Il faut toujours garder une certaine notion de protection du capital, même dans des stratégies à octane élevé. »

Selon René Delsanne, comparer les rendements obtenus avec d’autres caisses de retraite ayant une politique de placement semblable est une bonne pratique à adopter.

Un conseiller doit rester un conseiller
Dans un marché où de nombreux intervenants gravitent autour des caisses de retraite, il peut être aussi difficile d’obtenir des conseils éclairés que de choisir judicieusement son gestionnaire de fonds, estiment certains.

« Les firmes d’actuaires poussent parfois les caisses de retraite pour qu’elles changent souvent de gestionnaire », estime Michel Nadeau, un avis également partagé par René Delsanne. « Mettez les choses au clair avec votre consultant. Dites-lui que s’il vous recommande un changement de gestionnaire, vous allez faire la recherche avec quelqu’un d’autre. C’est une façon de lui dire que vous ne voulez pas qu’il fasse des recommandations qui vont lui générer des honoraires. »

« Le rôle du consultant est de fournir de bonnes données et d’agir à titre de conseiller, poursuit-il. Si vous en trouvez un bon, gardez-le, c’est certain que vous allez en retirer des bénéfices à long terme. »

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