vadimgozhda / 123RF

Lors de son récent passage au Québec, nous avons rencontré Sophie Elkrief, responsable des stratégies alternatives fondamentales et gérante des Fonds Risk Arbitrage chez Dexia Asset Management spécialiste dans l’analyse financière, la gestion de fonds et les mandats institutionnels et privés. Nous lui avons posé quelques questions afin de connaître notamment ses perspectives pour les mois à venir.

La gestion des fonds Risk Arbitrage prend la grande majorité du temps de Mme Elkrief, mais elle voit également aux stratégies fondamentales, qui concernent notamment le crédit, les actions convertibles, l’immobilier, et les matières premières. Au total, elle supervise le travail d’une vingtaine de gestionnaires.

1. Selon vous, quelles sont les principales qualités d’un bon arbitragiste?
S.E. :
D’abord, cela requiert de la discipline et de la rigueur. Un bon arbitragiste (et un bon gestionnaire) sait couper ses positions. La recherche de l’information est capitale pour obtenir de bons résultats. La capacité à trier, intégrer, analyser et exploiter beaucoup d’informations dans un délai très court et de manière efficace est la clé du succès. Enfin, l’expérience, notamment dans l’analyse des opérations de fusions/acquisitions est essentielle. Plus on a vu de deals, plus on est réactifs et percutants.

2. Depuis la crise financière de 2008-2009, l’utilisation de produits dérivés fait-elle peur aux investisseurs institutionnels ? Devez-vous les convaincre ?S.E. : Nous n’avons pas besoin de les convaincre car nous n’utilisons pas de produits dérivés complexes tels que ceux qui ont implosé pendant la crise. Les produits qui peuvent être utilisés dans nos fonds sont simples et à vocation de couverture, comme des options sur indices dans les fonds actions. Nous utilisons également des swaps de performance pour optimiser la fiscalité du dividende sur les fonds actions.

4. Selon vous, la tendance actuelle des fusions et acquisitions sera-t-elle un grand thème d’investissement en 2011-2012 ?
S.E. :
L’activité des fusions et acquisitions est cyclique. L’année 2010 s’est caractérisée par une progression des transactions, et je crois que cette tendance se poursuivra en 2011. Les investisseurs institutionnels pourront donc tirer profit d’une telle hausse.

Les conditions nécessaires à un marché actif de fusions et acquisitions incluent notamment l’accès au crédit ou trésorerie, le regain de confiance des entreprises et l’opportunité et la volonté d’accroître les bénéfices. En 2010, la stabilisation des marchés du crédit a offert aux entreprises ayant survécu à la crise et en quête de d’acquisitions, un financement plus accessible. Par ailleurs, les entreprises ont constitué d’importantes réserves de trésorerie. Selon Bloomberg, les 1000 plus grandes entreprises mondiales ont accumulé pas moins de 3 000 milliards de dollars de trésorerie entre 2009 et 2010.

En 2008 et 2009, les mots d’ordre des équipes de direction étaient plutôt la survie et le contrôle des coûts. Depuis 2010, elles pensent de nouveau à l’avenir et recherchent des opportunités potentielles de croissance externe afin de compenser une croissance organique plutôt atone.

Nous assistons en effet aux premiers signes d’une reprise économique lente mais régulière assorti d’un recul des craintes déflationnistes. De ce fait, les entreprises s’accordent à dire que la croissance organique sera limitée d’où un intérêt grandissant pour la croissance externe à travers des opérations d’acquisitions.

L’ensemble de ces facteurs soutiennent nos conclusions que la tendance actuelle des fusions et acquisitions sera sans aucun doute un grand thème d’investissement de l’année 2011. Avec une croissance observée de 20 % des volumes de fusions-acquisitions, l’environnement actuel offre de nombreuses opportunités et un profil de risque/rendement attractif.

5. À partir de là, quels seront les secteurs les plus actifs en fusions acquisitions?
S.E. : Parmi les nombreux secteurs attrayants, nous voyons de belles opportunités dans les secteurs de la santé, de l’énergie et des médias/télécoms/technologies.

D’abord, les grandes entreprises pharmaceutiques à la recherche de croissance et confrontées à des coûts très importants de R&D, sont souvent prêtes à verser des primes élevées en échange de petites sociétés innovantes.

Par ailleurs, dans le secteur de l’énergie, les entreprises engendrent des flux de trésorerie élevés et présentent des valorisations attrayantes et un ratio dividendes-bénéfices intéressant. Ce secteur devrait pouvoir bénéficier de la prochaine vague de consolidations à venir de la part des grandes compagnies pétrolières qui se lanceront dans des rachats dans le but de remplacer leurs réserves qui sont en voie d’épuisement.

Enfin, nous assistons à une évolution de nouveaux modèles d’entreprises dans les secteurs des médias, télécoms et technologies. Les entreprises cherchent à acquérir de nouvelles activités complémentaires qui leur permettront d’être compétitives dans cette industrie en perpétuelle évolution.

6. Quelles sont les stratégies qui peuvent être envisagées pour les investisseurs institutionnels?
S.E. :
Avec un environnement aussi favorable aux fusions et acquisitions, deux stratégies majeures peuvent être utilisées: une approche opportuniste à long terme qui vise à identifier des cibles (sociétés) sous-évaluées ou le recours, moins risqué, à un spécialiste en arbitrage.

Dans un portefeuille long-only, le gestionnaire de portefeuille cherchera à investir dans des entreprises qui suscitent l’intérêt d’un acquéreur potentiel. Bien que cette stratégie soit récompensée par la prime offerte par l’acquéreur et qu’il puisse bénéficier de l’entrée de soumissionnaires concurrents, il accepte en revanche le risque qu’aucun appel d’offre n’ait lieu pour l’investissement qu’il détient. Je crois toutefois que la stratégie Arbitrage de fusion offre pour la majorité des investisseurs le meilleur compromis en termes de rendement-risque. Dans cette stratégie, le gestionnaire peut tirer profit de situations spéciales, d’offres en développement et de transactions annoncées. De plus, le recours à des positions longues et courtes ainsi que des instruments de couverture peut mener à une vaste stratégie de marché neutre, à une excellente liquidité et à une bonne diversification.

7. D’après votre expérience, observez-vous une différence entre les investisseurs institutionnels nord-américains et européens?
S.E. :
Oui. On observe que les investisseurs européens sont historiquement plus averses au risque et moins investis en actions. Ils sont des clients historiques de Dexia Asset Management en gestion alternative car ils demandent des produits liquides avec une volatilité maîtrisée. Cependant, depuis la crise, les investisseurs nord-américains tendent à diversifier de plus en plus leur portefeuille, tant au niveau de la nature des produits qu’à la liquidité de ces produits : nous observons donc un intérêt grandissant pour des produits alternatifs liquides. Les investisseurs nord-américains sont également plus sophistiqués sur les produits alternatifs, et comprennent bien les différents profils de chaque produit.

8. Quels seraient les avantages pour un investisseur canadien de faire affaire avec un gestionnaire comme Dexia ?
S.E. :
En premier lieu, Dexia est un gestionnaire européen à même de proposer des produits « Europe », ce qui offre une diversification aux investisseurs canadiens. En outre, Dexia est un gestionnaire institutionnel de taille moyenne, qui souhaite offrir des produits personnalisés à ses clients, notamment dans les produits alternatifs. Nous nous distinguons des très gros gestionnaires de par ce positionnement : quelques produits phares avec des déclinaisons personnalisées et une réelle volonté de construire une relation de long terme avec ses clients. Enfin, en ce qui concerne plus spécifiquement la gestion alternative, nous offrons non seulement des produits européens, mais surtout liquides.

9. En terminant, quelles sont vos prévisions des marchés pour l’année 2011 ?
S.E. :
Mes perspectives sont positives pour l’année 2011 concernant les marchés boursiers aux États-Unis et en Europe, du fait de la croissance américaine soutenue combinée à un taux de chômage qui commence à baisser. Je demeure confiante même si certaines incertitudes persistent comme les dettes européennes, l’inflation dans les marchés émergents et la situation géopolitique plutôt précaire en Afrique du Nord.