Depuis quelques décennies, les médicaments biologiques sont venus graduellement bonifier l’arsenal thérapeutique des médecins. Ces médicaments sont utilisés pour traiter diverses maladies graves et invalidantes, dont le diabète, les maladies du système immunitaire et même les cancers.

Cependant, ces médicaments étant produits à partir de cellules vivantes plutôt que par synthèse chimique, leur processus de fabrication est infiniment plus complexe et coûteux que pour les médicaments traditionnels. Les biologiques d’origine ne peuvent être reproduits de manière identique. Santé Canada autorise l’utilisation de médicaments appelés biosimilaires après l’échéance du brevet de la version novatrice du médicament, lorsque la démonstration de similarité entre les deux produits au chapitre de l’efficacité et de l’innocuité a été établie.

Dans le but de réduire leurs dépenses, les provinces de la Colombie-Britannique et de l’Alberta ont récemment décidé de mettre en place des mesures forçant l’utilisation des médicaments biosimilaires en remplacement des versions d’origine. Le magazine Avantages rapportait récemment les résultats d’une étude du groupe Aviseo Conseil commanditée par Biosimilaires Canada selon laquelle le Québec pourrait obtenir des économies avec l’adoption d’une telle politique de substitution obligatoire.

Or, dans ce débat, il y a plusieurs autres aspects à considérer pour nos décideurs au-delà de la seule question des coûts. Par exemple, les économies ne risquent-elles pas de s’obtenir à forts prix pour les patients si elles devaient s’accompagner d’une baisse d’efficacité du traitement, comme l’ont récemment montré des chercheurs universitaires canadiens? Aussi, comment peut-on être certains que le remplacement du médicament d’origine par un médicament biosimilaire n’entraînera pas des coûts additionnels dans le réseau de la santé (en visites médicales, tests de laboratoire, chirurgies et autres séjours hospitaliers, etc.)?

Les impacts de la substitution obligatoire

C’est en grande partie pour répondre à ces questions que le gouvernement du Québec a mandaté en mai dernier l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) de réaliser une revue de littérature exhaustive sur les impacts de la substitution de médicaments biologiques par des biosimilaires. La recension effectuée a permis de mettre en lumière que pour certaines populations et certains champs thérapeutiques « très peu ou pas de données sont disponibles relativement à l’innocuité de la substitution d’un médicament biologique ».

Pour la moitié des types de pathologie et des effets cliniques étudiés, le niveau de preuves associé aux résultats dans la littérature a été jugé faible ou insuffisant par l’INESSS. L’organisme public incite donc les décideurs à la prudence en rappelant que la substitution obligatoire pour des raisons non médicales n’est généralement pas acceptée par les sociétés savantes et les cliniciens.

En Europe, il n’est pas permis de changer la médication d’un patient suivant une thérapie biologique pour des motifs strictement économiques, à l’exception de quelques pays. On considère que le médecin traitant est mieux à même d’évaluer les besoins et les conditions de santé de ses patients individuellement et de prescrire les médicaments les plus susceptibles d’y répondre adéquatement.

La substitution obligatoire pour des raisons non médicales, sans égard au fait que les patients ne réagissent pas tous de la même façon à la prise de médicaments, peut en effet entraîner des coûts additionnels pour les réseaux de la santé. Des chercheurs de l’Université du Missouri-Kansas City ont recensé 17 études faisant mention d’une augmentation des coûts reliés à la substitution non médicale de médicaments biosimilaires. Le gonflement des coûts s’expliquerait, entre autres, par l’augmentation des visites médicales, des taux d’hospitalisation plus élevés, l’utilisation accrue d’autres médicaments et l’augmentation progressive des doses de biosimilaires (de 6 % à 35 %).

Regarder le portrait d’ensemble

Dans le domaine pharmaceutique, les décideurs doivent s’efforcer de trouver l’équilibre idéal entre encourager l’innovation et l’accès rapide aux nouvelles thérapies de pointe pour les patients et assurer la pérennité financière des régimes d’assurance médicaments. Selon le rapport cité par Avantages, ce fragile équilibre serait en voie d’être rompu avec l’arrivée grandissante de médicaments biologiques. Est-ce bel et bien le cas?

Contrairement à une croyance répandue, malgré l’arrivée croissante de médicaments biologiques au Canada, on observe un ralentissement de la croissance des dépenses pharmaceutiques totales depuis une dizaine d’années. En tenant compte de l’inflation, les dépenses totales de médicaments par habitant ont connu une croissance annuelle moyenne à peu près nulle au Québec depuis 2010. La part du produit intérieur brut (PIB) dévolu aux dépenses de médicaments prescrits décline, étant passée de 2,2 % en 2010 à 1,9 % en 2019.

En cette période de pandémie, il va de soi que la prudence devrait être de mise. L’arrivée des biosimilaires peut certes être vue comme une bonne nouvelle pour les patients et les médecins lorsque cela se traduit par un accroissement de l’éventail d’options thérapeutiques qui s’offrent à eux, et cela encourage une saine concurrence entre les fabricants. Là où l’on permet la cohabitation des médicaments biologiques d’origine et des biosimilaires, sans en avantager un au détriment de l’autre, des réductions de prix s’observent pour l’ensemble des produits.

Cependant, des politiques gouvernementales qui forcent la substitution de médicaments pour des raisons strictement économiques risquent de pénaliser les patients et entraîner des visites médicales évitables, en plus de nuire à l’innovation et à l’accès futur aux médicaments biologiques pour l’ensemble des Québécois.

Yanick Labrie est économiste de la santé, chercheur associé au Canadian Health Policy Institute et senior fellow de l’Institut Fraser. Il signe ce texte à titre personnel.