Le Québec vit au-dessus de ses moyens et le moment est venu de reprendre le contrôle des finances publiques, soutient le gouvernement Couillard dans son premier budget déposé mercredi par le ministre des Finances, Carlos Leitao. Québec souhaite y arriver en appliquant les freins à la croissance de ses dépenses, notamment en imposant un régime minceur à l’appareil de l’État et par un gel complet de l’embauche au cours des deux prochaines années.

Mais les contribuables ne seront pas épargnés pour autant. Malgré les promesses électorales libérales de renoncer à toute hausse de taxes et d’impôts, donc du fardeau fiscal, le gouvernement choisit de demander aux Québécois de débourser davantage au moment d’acheter de l’alcool ou des cigarettes.
La taxe sur le tabac augmente de 4 $ par cartouche de 200 cigarettes. Les taxes sur l’alcool sont revues à la hausse : 0,05 $ de plus par bouteille de bière et 0,24 $ par bouteille de vin. Par contre, au restaurant et dans les bars, la taxe sera revue à la baisse: 0,07 $ de moins la bouteille de bière et 0,92 $ la bouteille de vin.

Aux prises avec un contexte budgétaire difficile et une baisse de revenus dans les coffres de l’État, le gouvernement Couillard maintient quand même son engagement à mettre un terme à la spirale des déficits en 2015-2016. Mais d’ici là, pour l’année en cours, le déficit dépassera de 600 millions de dollars la cible fixée par le gouvernement précédent (1,75 milliard de dollars) pour atteindre finalement 2,35 milliards de dollars. « La situation est sérieuse », a reconnu d’emblée le ministre des Finances, en conférence de presse.

Québec mise sur un contrôle serré des dépenses gouvernementales, le gel de l’embauche et les retraites à venir dans la fonction publique pour retrouver une certaine marge de manœuvre budgétaire à plus ou moins court terme.

La croissance des dépenses est plafonnée à 1,8 % en 2014-2015 et à une moyenne de 2,1 % de 2015 à 2019, soit largement inférieure à la moyenne des années passées et des prévisions jugées « prudentes et conservatrices », selon le ministre Leitao.

Celle des salaires des fonctionnaires devra être à l’avenant. Québec prévient d’avance les syndicats du secteur public que les prochaines négociations salariales, qui s’annoncent houleuses, devront tenir compte de ces paramètres. Les conventions collectives viennent à échéance en 2015. Québec tient aussi pour acquis dans son budget que les médecins vont accepter d’étaler leurs hausses de rémunération à venir sur un grand nombre d’années, contrairement à ce qui avait été convenu au moment de la signature de la convention. Mais les négociations avec eux ne sont toujours pas conclues.

Un régime minceur

Pendant ce temps, Québec impose un régime minceur à l’appareil de l’État : divers engagements pris par le gouvernement précédent seront réévalués, reportés à plus tard, voire reniés, les directions régionales du ministère de l’Éducation seront abolies, le programme de remboursement de la procréation assistée sera réévalué et on promet de rationaliser les budgets des bureaux du Québec à l’étranger.

L’abolition graduelle de la taxe-santé promise par les libéraux ne deviendra réalité qu’en fin de mandat, si des surplus garnissent enfin les coffres de l’État. « On ne peut pas continuer avec des programmes qui sont financés à crédit », a tranché le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, qui s’est engagé une fois de plus à remettre en question « ce qui est moins prioritaire » dans l’éventail des services gouvernementaux.

Le gouvernement maintient sa décision d’annuler la hausse de 2 $ par jour des frais de garde à 7 $ décrétée par le gouvernement précédent. Le tarif quotidien sera plutôt indexé à 7,30 $ le 1er octobre. Québec créera aussi un total de 6300 places cette année.

Le développement économique sera stimulé par une série de mesures : relance du Plan Nord et de l’industrie forestière, appui aux PME manufacturières (réduction de 8 à 4 pour cent du taux d’imposition), mise en place de la Stratégie maritime, investissement dans les infrastructures (90,3 milliards d’ici 10 ans, dont 11,5 milliards de dollars cette année). Parallèlement, Québec révise à la baisse plusieurs mesures fiscales, dont la réduction de 20 % des crédits d’impôts, destinées aux entreprises. Le total des dépenses de l’État en 2014-2015 atteindra 74,2 milliards de dollars.

Le ministre a souligné la préoccupation du gouvernement à l’égard des régimes de retraite des municipalités. « Des ajustements doivent être apportés pour répondre aux défis que les régimes de retraite doivent relever. Le gouvernement s’engage donc à intervenir dans l’objectif d’améliorer leur situation financière, notamment par un partage des déficits, et ce, en tenant compte de la capacité de payer des contribuables », a-t-il exprimé.

Le PQ et la CAQ soulignent les promesses reniées des libéraux

Avec un premier plan budgétaire, les libéraux mettent en œuvre une recette pour renier leurs engagements de la dernière campagne électorale, a déclaré mercredi le porte-parole péquiste en matière de finances, le député Nicolas Marceau.

M. Marceau a soutenu que les libéraux ont révisé à la baisse leurs prévisions de croissance économique, un peu moins de deux mois après leur arrivée au pouvoir.

« Ils avaient parlé d’une croissance économique pour 2014 de 2,1 %, aujourd’hui on nous dit que ce sera 1,8 %, a-t-il dit. Cela fait en sorte que le cadre financier, présenté en campagne électorale par le Parti libéral, éclate, ne tient plus du tout la route. »

Le député péquiste, qui était ministre des Finances jusqu’à la défaite péquiste d’avril, a également mis en doute l’atteinte de l’objectif libéral de créer 250 000 emplois en cinq ans, alors que le budget prévoit la création de 31 300 emplois cette année.

« On constate qu’il y a déjà un retard de 22 400 emplois sur deux ans », a-t-il dit.

M. Marceau a aussi souligné que les libéraux brisent leur promesse en haussant les taxes, notamment sur l’alcool et les cigarettes.

Porte-parole pour le dossier du Conseil du trésor, Élaine Zakaïb a soutenu qu’avec leur budget, les libéraux épargnent sur les dos des plus démunis.
« L’assurance autonomie on y met fin, il n’y a pas d’argent pour le maintien à domicile, on s’attaque au réseau de garderies, a-t-elle dit. Tout le pan de notre politique solidarité a été mis de côté. »

« Des objectifs ambitieux »

Le chef caquiste François Legault a soutenu que les libéraux ont adopté les mêmes constats que lui concernant l’état des finances publiques.

« On voit que les libéraux se donnent des objectifs ambitieux, a-t-il dit. Au moins, les libéraux ont vu le mur, après le 7 avril. Espérons maintenant que le gouvernement va être capable de l’éviter. »

M. Legault estime cependant que les libéraux manquent d’ambition dans la stimulation de l’économie, avec une prévision de la croissance québécoise de 2 pour cent en 2015, alors qu’elle sera de 2,5 % au Canada.

« Le gouvernement baisse les bras, accepte que le déclin économique du Québec se poursuive pour les deux prochaines années », a-t-il dit.
M. Legault a relevé lui aussi la création d’emploi sur laquelle M. Marceau avait également insisté. « C’est bien peu si on compare avec ce qui avait été promis en campagne électorale », a-t-il ajouté.

Au chapitre des promesses reniées, M. Legault a mis de l’avant les hausses des tarifs d’électricité et des services de garde, qu’il situe à 4,3 %. « Dans les deux cas, c’est bien supérieur à l’inflation, ça va diminuer le pouvoir d’achat des Québécois », a-t-il dit.

S’il constate que les libéraux sont moins catégoriques sur l’augmentation à long terme des investissements en infrastructures, M. Legault juge déjà excessive la hausse de 2 milliards de dollars prévue cette année. « Je comprends que le gouvernement va revenir peut-être sur sa promesse pour les autres années, mais pour cette année, 11,5 milliards de dollars, c’est un record de tous les temps », a-t-il dit.

Austérité permanente
La députée de Québec solidaire Françoise David a dénoncé pour sa part un budget d’austérité permanente.

Mme David a particulièrement critiqué les efforts qui se concentrent sur la diminution des dépenses plutôt que la croissance des revenus.

« Si quelqu’un ici s’imagine que ça va se faire sans impact néfaste sur la population, eh bien cette personne, ou bien ment, ou bien joue dans un film de science-fiction », a-t-elle dit.