Le président du Comité exécutif de Dexia Asset Management, Naïm Abou-Jaoudé, était de passage au Canada à la fin juin. Lors de son arrêt à Montréal, le magazine Avantages en a profité pour le rencontrer et lui poser quelques questions sur les marchés et sa vision de l’industrie de gestion de portefeuille pour les années à venir.

1- Selon vous, quel sera l’impact de la crise financière en Europe? Est-ce que cela pourrait faire peur aux investisseurs institutionnels?
Naïm Abou-Jaoudé
: La stratégie actuelle adoptée par les différentes autorités (FMI, Union Européenne, etc.) vise entre autres à gagner du temps pour que la croissance retrouvée permette de générer des revenus pour payer les dettes. Mais pour que cette stratégie soit vraiment efficace et crédible, elle doit s’accompagner de mesures d’austérité importantes afin de réduire les déficits publics annuels. Ces mesures d’austérité sont d’autant plus dures pour des pays qui ne peuvent pas avoir recours à une dévaluation de la devise nationale.

Dans le cas de la Grèce et des autres pays touchés par ce problème, cette dévaluation n’est pas possible. Devra-t-on se tourner vers d’autres solutions plus originales si l’on devait s’apercevoir que la stratégie actuelle ne fonctionne pas? Rien n’est à exclure. S’agit-il d’opportunités pour les investisseurs? Tout cela va dépendre de la façon de gérer la situation dans les semaines à venir. Le marché attend des autorités qu’elles avancent des propositions plus claires en terme de restructuration souple de la dette grecque. Ainsi, la prudence reste de mise. L’Europe doit aller vers plus d’intégration en termes de gouvernance. J’espère que la période actuelle aura été une étape à franchir pour aller vers une meilleure coordination pour faire face aux enjeux globaux.

3- Dans le même ordre d’idées, pensez-vous que les grands investisseurs vont graduellement réduire leurs investissements aux États-Unis pour explorer davantage les pays émergents, notamment en Asie?
N. A.-J.:
Cela paraît évident pour plusieurs raisons : d’abord la croissance. La zone émergente asiatique bénéficie depuis de nombreuses années d’un avantage compétitif critique. Des coûts de production plus faibles que dans les pays développés. Cela a permis d’enclencher une croissance économique (exportations) et de nombreux investissements, ainsi qu’une gigantesque création d’emplois domestiques, ce qui a entraîné une plus vaste consommation domestique. On assiste en direct à l’avènement d’une classe moyenne dans ces pays. Bien sur, le contexte actuel est plus délicat car ces pays ont entamé une phase de resserrement monétaire pour contrôler la hausse importante de l’inflation. Cela devrait avoir un impact à court terme, mais ne remet pas en cause la croissance structurelle à laquelle on devrait assister au cours des prochaines années.

Un autre élément, plus technique, est la sous-représentation de la zone dans les portefeuilles globaux et encore plus dans les portefeuilles américains. En effet, des enquêtes récentes montrent que la pondération de la zone dans les portefeuilles est en augmentation mais reste à un niveau modéré estimé entre 6 % et 10 %. Ce niveau doit être mis en perspective avec deux autres chiffres : 52 %, soit la part du PIB émergent dans la croissance du PIB global à l’horizon 2016 et 26 % qui représente le poids de la capitalisation boursière émergente dans la capitalisation mondiale. Par conséquent, les perspectives de croissance supérieures et les effets de diversification devraient pousser logiquement les investisseurs nord-américains à poursuivre (et non entamer) leurs investissements dans la zone asiatique.

3- Le vieillissement de la population (et la pénurie de la main-d’oeuvre que cela va provoquer) constitue un enjeu important dans plusieurs pays occidentaux. Quelles répercussions cela pourrait-il entraîner?
A. N.-J. :
Les tendances et évolutions démographiques vont définitivement créer des opportunités d’investissement. Dexia AM a d’ailleurs récemment mené une étude portant sur l’impact économique de la croissance et du vieillissement de la population. Si l’on se concentre sur la pénurie de compétences dans les pays occidentaux, on observe des répercussions tant sur le plan macroéconomique (et politique) que sur le plan microéconomique.

Sur le plan macroéconomique, les pays occidentaux doivent déterminer quels sont les meilleurs leviers pour soutenir leur croissance économique et assurer la sécurité financière de leurs personnes âgées face à une population active en déclin. Parmi ces leviers, signalons l’augmentation du taux de participation économique via un relèvement de l’âge de retraite effectif ou encore via une meilleure intégration dans la vie économique des jeunes et des femmes. Également, mentionnons l’adoption de politiques d’immigration ciblées, tout en acceptant qu’elles permettront une inflexion de la tendance sans pour autant la renverser et le développement accru des 2e et 3e piliers de retraite (régimes de retraite complémentaire et personnel).

Sur le plan microéconomique, les entreprises capables de s’adapter à ces évolutions et de relever les défis de ressources humaines associés bénéficieront clairement d’un avantage concurrentiel : l’accompagnement des travailleurs plus âgés à la veille de leur retraite, une politique de diversité, des politiques proactives de recrutement et de rétention seront à l’honneur.

Ces défis, aussi bien micro que macro vont créer des opportunités de marché. Certaines entreprises, tout en bénéficiant de ces tendances, peuvent apporter des solutions durables aux marchés et populations qu’elles desservent.

4- Traditionnellement, le Canada est bien positionné à cause de ses ressources naturelles. Croyez-vous que ça sera encore le cas dans la prochaine décennie?
A. N.-J.:
Les perspectives à long terme pour le Canada demeureront très favorables. Les besoins actuels en nouvelles infrastructures dans les marchés émergents (l’Inde, par exemple) soutiendront la demande de métaux de qualité. Une augmentation à la fois de la production industrielle et de la possession d’une voiture dans ces mêmes pays alimentera leur soif d’énergie. Représentant 10 % des exportations mondiales des métaux de qualité et de charbon et étant le sixième producteur mondial de pétrole, le Canada demeurera bien positionné pour tirer profit de ces tendances structurelles.

5- Depuis la crise financière de 2008-2009, l’utilisation de produits dérivés fait-elle peur aux investisseurs institutionnels? Observez-vous la même chose dans les investissements dans les produits alternatifs?
A. N.-J.:
La première réaction des investisseurs institutionnels à la suite de cette crise a été une demande pour plus de transparence et de simplicité. Les produits dérivés, souvent associés à des produits complexes et pas toujours très transparents, ont alors été considérés par certains comme des produits dangereux. Néanmoins, ce n’est pas le cas de tous les produits dérivés dont l’éventail est large en allant du produit sur mesure au produit complexe permettant de s’exposer sur des marchés peu liquides. Bref, Il est toujours dangereux d’amalgamer tous les dérivés entre eux et on voit clairement que les investisseurs attendent de leurs gestionnaires de faire preuve de plus de transparence et de plus d’efforts de pédagogie lorsqu’ils utilisent des dérivés.

Concernant les stratégies alternatives, après une première période d’expectative qui a immédiatement suivi la crise, de nombreux investisseurs institutionnels sont vers la gestion alternative. Le plus gros problème pour la gestion alternative dans la crise a été celui de la gestion de la liquidité qui dans certains cas a effectivement fait, et ce à juste titre, des mécontents parmi les investisseurs. Toutefois, dans l’ensemble les fonds alternatifs ont d’une part amortis la baisse en 2008 et d’autre part capté une partie du rebond en 2009-2010.

Aujourd’hui, trois autres facteurs viennent également soutenir les investissements vers les fonds alternatifs, soit un environnement de taux extrêmement bas qui oblige à trouver d’autres options de placement; une performance sur les 10 dernières années des investissements alternatifs très convenables en termes de couple risque-rendement et une nécessité de diversifier son allocation en y incluant d’autres sources de rendement. Ce qui est aussi observé depuis la crise est un allongement des phases de vérification diligente et donc une plus grande sélectivité de la part des investisseurs institutionnels quand il s’agit d’investir en alternatif. Les investisseurs institutionnels n’ont donc pas peur de l’alternatif, mais veulent mieux le comprendre et le maîtriser avant d’investir. Tout cela requiert un effort plus grand de transparence, de proximité et de pédagogie avec nos clients.

6- D’après votre expérience, comment percevez-vous les investisseurs institutionnels nord-américains? Font-ils preuve de plus d’audace?
A. N.-J.:
Les investisseurs institutionnels nord-américains semblent plus enclins au risque que la plupart des investisseurs européens. Ce marché se montre notamment plus « friand » de produits nouveaux innovateurs par rapport à la situation en Europe où on observe encore de nombreuses disparités géographiques. En effet, selon une étude de Towers Watson publiée cette année, la répartition moyenne des actifs des caisses de retraite nord-américains en 2010 était approximativement de: 45 % en actions; 30 % en obligations et 25 % en produits alternatifs. Nous avons effectivement assisté ces dernières années à un changement majeur avec l’introduction de cette classe d’« Actifs Alternatifs » qui incluent notamment l’Immobilier, Infrastructure, le «Private Equity» et plus récemment, les Fonds Alternatifs. Alors que la part des actifs traditionnels (actions/obligations) est restée stable en Amérique du Nord, on a pu remarquer que l’allocation d’actifs alternatifs est passée de 5 % à pratiquement 25 %.

Sur le marché européen, les décisions de placements semblent moins homogènes en raison probablement des caractéristiques propres à chaque pays et de leur évolution au cours des années. De manière générale, les investisseurs institutionnels européens se montrent moins enclins à une allocation à des actifs sensiblement plus volatils que leurs homologues nord-américains.

7- Quels seraient les avantages pour un investisseur canadien de faire affaire avec un gestionnaire européen comme Dexia AM?
A. N.-J.:
Bien qu’ayant des origines européennes, Dexia AM a toujours eu des perspectives internationales de part ses domaines globaux d’investissement et ses clients répartis dans 25 pays différents.

Les investisseurs canadiens sauront sans doute apprécier le fait que nous ayons des chargés de clientèle basés au Canada, à l’écoute des clients canadiens et pleinement conscients de leurs exigences locales. Ils pourront bénéficier d’un modèle commercial tirant parti au mieux de deux atouts principaux notre taille et notre flexibilité. Dexia AM est suffisamment grande pour offrir aux clients une base de compétences solides forgée durant des années de service auprès d’une clientèle diversifiée.

Par ailleurs, nous sommes suffisamment flexibles et agiles pour générer des innovations centrées sur les clients grâce à la collaboration, la réactivité et l’entreprenariat dont nous faisons preuve. De plus, nous pouvons mettre à la disposition des investisseurs canadiens une expertise pointue dans l’allocation d’actifs, une expertise de longue date sur les marchés émergents et un leadership dans des domaines prometteurs tels que l’investissement social et responsable avec une approche adaptée aux besoins particuliers de différents types de clients (p.e. une approche « Overlay ») et l’investissement alternatif liquide et régulé.

8- Enfin, quelles sont vos prévisions des marchés pour les 12 prochains mois?
A. N.-J.:
Le rythme de la reprise des marchés américains et européens sera plutôt modéré. Beaucoup dépendra des stratégies qui seront adoptées d’ici là afin de rééquilibrer les budgets. Néanmoins, dans le contexte actuel, une application rapide de ces stratégies de rééquilibrage est peu probable.

En ce qui concerne les marchés actions, la valorisation est très attrayante. Les fondamentaux micro-économiques en matière de niveau d’endettement des entreprises et de marges opérationnelles sont très bons. Les profits et les marges des entreprises se sont redressés plus vite et plus fortement que l’économie réelle. Ainsi, les bénéfices du S&P 500 sont supérieurs en 2011 à leur niveau de 2007, ce qui n’est pas cas le cas pour le GDP US. Les marges opérationnelles des entreprises ont effacées la crise.

Pour les 12 prochains mois, compte tenu du niveau actuel des marchés et de la prime de risques très élevée, les marchés devraient être à la hausse et cela dans un environnement volatil.