Une personne sur cinq souffrira d’une maladie mentale au cours de sa vie, ce qui n’est pas sans conséquence sur la productivité et l’absentéisme des employés. Le colloque sur la santé mentale, organisé par Avantages le mois dernier à Montréal se déroulait donc sous le thème « Ce n’est pas uniquement personnel, ce sont les affaires ». Objectif : sensibiliser les milieux de travail à la mise en place d’une culture de bien-être mental en entreprise. L’expertise des travailleurs, des assureurs et des cliniciens était au programme.

Rompre avec la peur et la stigmatisation
L’auteur et journaliste Sylvain d’Auteuil témoignait de son parcours devant un auditoire issu du monde du travail. « Il y a 24 ans, je suis entré à l’hôpital en crise d’anxiété et de dépression majeure », a raconté celui qui œuvre à titre de consultant pour la Commission de la santé mentale du Canada ainsi que de directeur de l’Association québécoise des personnes vivant ou ayant vécu un trouble mental. « Je me croyais invincible. Je ne savais pas ce que c’était de perdre le contrôle sur ses émotions. »

Sylvain d’Auteuil a ajouté que même s’il ne souhaite à personne de passer par cette expérience, il se réjouit des bénéfices qu’il en a recueillis sur le plan personnel. « J’enseigne beaucoup l’art de la fierté à mes pairs », a ajouté l’auteur qui agit aussi à titre de conférencier et de formateur. « Je ne suis pas fier d’avoir un trouble de santé mentale, mais je suis fier du chemin de rétablissement que j’ai parcouru et d’en être sorti plus fort. »

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Afin de combattre la stigmatisation, Sylvain d’Auteuil a suggéré aux employeurs de mettre en place des pairs aidants dans les entreprises. « Je souhaite que des personnes lèvent leurs mains dans les milieux de travail et deviennent des champions de la santé mentale, a-t-il dit. Personne, dans les entreprises, ne peut se targuer d’être à l’abri de vivre ce que j’ai vécu. Des études récentes ont démontré que le stress prédispose surtout pour l’épisode initial de dépression et plus de 50 % des gens qui vivent une première dépression en connaîtront une deuxième. D’où la nécessité de prévenir ce premier épisode ! »

Une tournée de consultation menée au Québec de 2010 à 2012 a permis d’identifier les facteurs facilitant le rétablissement des personnes atteintes d’un trouble de santé mentale, les obstacles et les enjeux. Un milieu de travail axé sur le rétablissement et sur la lutte contre la stigmatisation est ressorti comme la solution prioritaire. « Le rétablissement, ce n’est pas la guérison des symptômes. C’est un processus de mieux-être qui n’est pas linéaire et qui consiste à essayer d’atteindre une qualité de vie optimale, malgré les symptômes », a conclu Sylvain d’Auteuil.

La dépression touche 10 à 15 % des individus
Le taux de dépression majeur est actuellement de 3,4 % et la prévalence à vie de la dépression se situe autour de 10 à 15 % (Lépine JP, Briley M. 2011). D’ici 2030, selon l’Organisation mondiale de la santé, la dépression sera la cause principale d’invalidité. « Selon une étude américaine, le coût de la dépression majeure est passé de 173,2 à 210,5 milliards de dollars américains de 2005 à 2010 », a indiqué la Dre Valérie Tourjman, chef médicale du programme des troubles anxieux et de l’humeur à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Selon l’étude Wulsin et al. (2014), les trois conditions de travail associées à ce problème de santé sont les interactions fréquentes ou difficiles avec le public ou la clientèle, le niveau élevé de stress et le faible niveau d’activité physique. « Les études montrent qu’il y a moins de dépression dans les milieux de travail où les employés ont un bon soutien professionnel, dans les emplois où ils ont un grand pouvoir décisionnel et lorsqu’ils cumulent moins d’heures de travail », a indiqué la psychiatre.

Jusqu’à présent, peu d’études ont permis de mesurer l’impact des interventions psychosociales sur la dépression, et aucune n’a permis de mesurer l’impact « d’interventions psychosociales développées de façon spécifique pour aider les gens au travail », déplore la Dre Tourjman. Toutefois, selon certaines études, la participation aux programmes de mieux-être offerts par les entreprises est bénéfique, particulièrement lorsqu’il s’agit de programmes orientés sur l’activité physique. « Les programmes qui encouragent les employés à avoir une activité physique sont ceux qui améliorent le plus la productivité et qui permettent de réduire la dépression et l’impact de la dépression », a indiqué la Dre Valérie Tourjman.

La recherche a également établi que le dépistage et le traitement hâtifs permettent de réduire la dépression et l’invalidité. « Au moment où ils vont mieux, on peut aussi offrir des accommodements aux employés, ajoute la Dre Tourjman. On constate que les personnes qui n’ont pas bénéficié d’accommodements au travail ont un plus grand risque d’avoir une dépression majeure dans l’année qui suit que ceux qui ont bénéficié d’accommodements. De plus, toutes les études concluent qu’il coûte moins cher à l’employeur d’instaurer des programmes d’aide que d’ignorer le problème. Il est gagnant de faire attention au problème et d’instaurer des mesures d’aide ! »

Outre la médication, qui permet de réduire l’impact de la dépression « à condition de donner le bon médicament à la bonne personne et de l’ajuster en présence d’effets secondaires », la Dre Tourjman a rappelé l’importance des interventions ciblant « l’autogestion, la gestion du stress et l’activité physique ».

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Les troubles de la personnalité au travail
La dépression n’est certes pas le seul problème de santé mentale présent en milieu de travail. « De 9 à 20 % de la population serait atteinte d’un trouble de la personnalité », a mentionné Jacques Sauvageau, vice-président, ventes et gestion de comptes, Est du Canada, chez Homewood Santé. Le trouble paranoïaque, le trouble de la personnalité limite, le trouble obsessionnel-compulsif sont parmi les nombreux troubles de la personnalité (TP) qui se manifestent par des comportements variables, qui vont de l’arrogance à la méchanceté en passant par le perfectionnisme, la méfiance ou les émotions excessives. « Il faut faire la distinction entre un TP et des traits de caractère, précise M. Sauvageau. Un TP est persistant et durable alors qu’un trait de personnalité se manifeste de façon plus évidente en situation de stress. »

La recherche démontre que les personnes souffrant de TP ont près de cinq fois le taux d’invalidité de la population générale. « En milieu de travail, il est essentiel de savoir à quoi s’attendre, indique Jacques Sauvageau. Les TP peuvent avoir des effets importants et, sans encourager les employeurs à faire du profilage, il vaut mieux être prévenu que d’avoir à guérir. » Outre la productivité réduite, les personnes atteintes d’un TP peuvent déranger leurs collègues et réduire la productivité de l’équipe de travail. « Les gestionnaires devront faire preuve de compassion tout en établissant des limites, ajoute M. Sauvageau. Une psychothérapie individuelle échelonnée sur plusieurs années peut être aidante. Il est également recommandé d’élaborer un contrat comportemental écrit. »

S’adapter à la génération Y
Soulignons finalement que la génération Y, qui représente les 15 à 35 ans, n’est pas épargnée par les problèmes de santé mentale. « D’ici 2020, les Y seront une majorité de gens dans nos milieux de travail », a rappelé la Dre Marie-Hélène Pelletier, vice-présidente adjointe, santé mentale au travail à la Financière Sun Life. La psychologue a donc insisté sur la nécessité de comprendre cette génération et de prendre conscience que « les gens de la génération Y sont, eux aussi, frustrés ! Ils sont en colère parce qu’on leur demande de faire des choses de la même façon que les autres générations les faisaient avant alors que ce n’est pas pareil ! »

Dre Pelletier recommande aux employeurs de mieux connaître les besoins et les aspirations de cette génération aux caractéristiques définies par plusieurs études. « Ils sont plutôt indépendants dans le sens où ils ont moins tendance à être en relation de couple et moins tendance à avoir des enfants que les personnes des autres générations lorsqu’elles avaient cet âge-là. Ils sont conscients de la valeur de l’argent, ont vécu plusieurs crises économiques, n’ont pas besoin des gens des autres générations pour obtenir de l’information et ont des attentes élevées, d’autant plus qu’ils se sont fait dire par leurs parents et leurs professeurs que tout est possible. Enfin, ils ont moins tendance à juger les autres. »

Le domaine de la psychologie évoque désormais le « début de l’âge adulte » pour définir la période qui sépare l’adolescence et l’âge adulte et qui est caractérisée notamment par l’exploration de l’identité, l’instabilité, l’individualisme et le sentiment « d’être entre les deux ». « Cela peut s’accompagner d’anxiété, explique la psychologue. Les temps durs peuvent être plus difficiles pour eux car ils se sont fait dire qu’ils sont capables de tout faire alors qu’ils peuvent avoir du mal à se trouver un travail et à payer leurs dettes. De plus, certains acteurs indiquent que comme génération, ils n’ont pas été habitués à vivre et donc à gérer des situations difficiles et stressantes de la même façon que les générations passées. »

En milieu de travail, les études démontrent que les personnes de 15 à 24 ans sont plus susceptibles que les autres de souffrir d’un problème de santé mentale ou d’un problème de toxicomanie. « C’est donc un problème sur lequel il faut s’attarder, souligne Dre Marie-Hélène Pelletier. La Commission canadienne de la santé mentale est en train de regarder ce que nous pouvons faire pour mieux servir les gens qui sont au début de l’âge adulte. Selon eux, il faut que les services qui leur sont offerts soient proactifs, axés sur le rétablissement, mobilisateurs et avec du soutien entre les pairs. »

Concrètement, plusieurs interventions en milieu de travail sont propices au bien-être de la génération Y, notamment l’équilibre entre le travail et la vie personnelle. « La génération Y a également besoin d’écoute, ajoute la psychologue. C’est une génération qui a beaucoup d’idées et qui aime contribuer; il faut donc utiliser cette particularité. Les Y ont aussi besoin de rétroactions et de récompenses. Ils souhaitent un environnement de travail amusant, ainsi que des opportunités de perfectionnement. »

Finalement, Dre Pelletier conseille aux entreprises de former et de soutenir leurs gestionnaires « pour qu’ils comprennent mieux la génération Y, ses caractéristiques, et ses attentes. »

Les présentations peuvent être téléchargées à partir du site avantages.ca/santementale2015

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