Les tests génétiques révolutionnent la médecine, mais ils suscitent aussi des craintes de discrimination envers les assurés. Des experts présentent les enjeux et les solutions envisagées.

Les traitements individualisés en fonction de l’ADN des patients ne cessent de se développer et suscitent de nombreux débats. Certains y voient des avantages, d’autres des risques ou des inconvénients, mais tous s’entendent pour dire que la médecine personnalisée va continuer sur son élan dans les années à venir.

Un projet de loi adopté au mois de mars à ­Ottawa vise à prévenir la discrimination génétique. Contesté par les assureurs, il a relancé les discussions dans un monde qui doit désormais envisager l’avenir en fonction des thérapies ciblées.

« ­Parce que nous réagissons tous différemment aux mêmes infections, il est aussi important de connaître le patient qui a la maladie que la maladie dont souffre le patient », explique le ­Dr ­Pavel ­Hamet, chercheur de renommée internationale et médecin au ­Centre hospitalier de l’Université de ­Montréal (CHUM). C’est sur cette évidence que se basent les tests génétiques qui permettent l’analyse des chromosomes et des gènes d’une personne pour déceler une prédisposition à une maladie génétique ou pour adapter une thérapie à son profil génétique afin d’en améliorer les résultats et l’efficience. « ­Les ­maladies chroniques, qui sont en partie le reflet de nos gènes, en partie le reflet de l’environnement dans lequel nous vivons, ont besoin de la médecine personnalisée », ajoute le Dr ­Hamet.

Des traitements plus ciblés
Pour les patients, les avantages des tests génétiques sont nombreux. Ils permettent non seulement de prévenir des maladies, mais aussi de mieux les traiter. Largement médiatisé, le cas d’Angelina ­Jolie illustre bien le potentiel de ces tests pour détecter les prédispositions à certains types de cancer, ou à certaines maladies. « ­Des cas comme celui d’Angelina ­Jolie, nous en avons une vingtaine par semaine, indique le ­Dr ­Pavel ­Hamet, qui dirige le service de médecine génétique au ­CHUM. La médecine personnalisée pour le cancer est la plus avancée et la plus connue. » ­Des tests de prédisposition génétique existent aussi pour d’autres maladies comme les diabètes, le ­Parkinson ou les troubles bipolaires. « ­Toutefois, nous ne les recommandons pas pour des maladies comme l’Alzheimer pour lesquelles il n’existe aucun traitement », ­tranche-t-il.

Des économies potentielles…
S’ils permettent une prise en charge plus rapide des personnes à risque de développer une maladie grave, les tests génétiques permettent également d’individualiser les traitements en ciblant le médicament approprié pour chaque personne, la dose requise et le meilleur moment pour débuter le traitement. « ­Dans certains cas, on peut administrer un médicament plus tôt ou une dose plus importante, explique le ­Dr ­Hamet. On évite ainsi de donner à une personne des médicaments qui sont inefficaces et qui causent uniquement des effets secondaires. »

Pour le ­Dr ­Hamet, les avantages de la pharmacogénétique sont aussi importants pour la personne malade que pour les promoteurs de régimes d’assurance et la société en général. « ­Actuellement, la moitié des médicaments prescrits sont donnés pour rien à des personnes qui n’y répondent pas adéquatement, ­déplore-t-il. Cela représente la moitié du budget de pharmacologie ! »

Afin de prescrire plus rapidement le bon traitement pour soigner la dépression, les médecins de plusieurs pays ont d’ailleurs recours aux tests génétiques. En effet, l’efficacité des antidépresseurs varie beaucoup d’une personne à l’autre. « ­Sans test génétique, trouver le bon traitement peut prendre trois mois, explique le ­Dr ­Hamet. Avec le test, on réduit le délai à deux ou trois semaines et on raccourcit donc l’invalidité de trois semaines. »

Face au potentiel économique qu’ils représentent, plusieurs assureurs ont décidé de rembourser ces tests. « ­La technologie est relativement récente, mais nous sommes dans un tournant où c’est le genre d’innovation que nous sommes prêts à intégrer dans nos programmes, indique ­Jean-Michel ­Lavoie, ­vice-président adjoint, conception de produits pour les ­Garanties collectives à la ­Financière ­Sun ­Life. Dans des cas d’invalidité, cela pourrait générer un retour au travail plus rapide avec moins d’effets secondaires. »

L’avantage est d’autant plus intéressant que le coût des tests génétiques ne cesse de baisser. « ­Il y a une dizaine d’années, un test de génotypage coûtait 2 000 $, se souvient le ­Dr ­Hamet. Aujourd’hui, il coûte environ 100 $. »

… et des coûts astronomiques
Outre les économies potentielles, les promoteurs s’inquiètent de l’arrivée sur le marché de traitements ciblés dont les coûts dépassent largement toute attente. « ­Les employeurs sont à la fois excités, car ces traitements pourraient permettre à leurs employés d’être plus en santé plus rapidement, et inquiets, constate M. Lavoie. La gouvernance de leurs régimes d’assurance est affectée par ces nouvelles thérapies très coûteuses. Si on ouvre complètement les valves, ces traitements pourraient rendre les régimes d’assurance inaccessibles. »

En 2014, le ­National ­Institutes of ­Health, une agence de recherche du gouvernement des ­États-Unis, enregistrait plus de 24 000 tests de dépistage de plus de 5 000 affections. Depuis, de nouveaux tests sont constamment mis au point afin d’améliorer les traitements. « ­Presque toutes les thérapies qui sortiront dans les prochaines années seront des thérapies ciblées qui utiliseront une forme ou une autre de marqueur ou de test génétique, croit ­Jean-Michel ­Lavoie. L’enjeu le plus important va être le contrôle des prix, ­ajoute-t-il. Actuellement, le traitement le plus cher coûte 700 000 $. La rentabilité est quasi impossible. Il n’y a pas grand monde qui apporte 700 000 $ de valeur à l’économie par année ! »

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