Un Québécois sur dix présente un problème de surconsommation de drogues ou d’alcool, selon l’Enquête 2012 de Santé Canada. La drogue illicite la plus utilisée est le cannabis – 41,5 % en ont consommé au cours de leur vie –, mais les médicaments d’ordonnance peuvent aussi représenter un problème chez certains employés. En effet, selon cette même enquête, 17 % des Canadiens ont consommé des antidouleurs opioïdes au cours de la dernière année et 5 % ont affirmé en abuser.

La toxicomanie se définit par l’usage régulier d’alcool, de drogues illicites ou de médicaments sur ordonnance à des fins autres que médicales. Les causes sont variées et peuvent comprendre l’hérédité, l’environnement (amis, famille, croyances) ainsi que les problèmes de santé mentale (anxiété et dépression).

La consommation régulière de drogues et d’alcool peut avoir des conséquences néfastes importantes dans différentes sphères de la vie des individus: physique, sociale, financière, familiale, judiciaire et, bien sûr, professionnelle. À long terme, elle peut aussi provoquer des changements permanents au cerveau et au corps, ce qui n’est pas sans effets sur la productivité et l’assiduité des employés. Soulignons que ces changements peuvent se manifester sur le plan cognitif, par exemple sur le jugement ou la concentration et sur le plan de l’humeur de l’individu ou encore des facultés de perception. Dans le cas de ces dernières, il pourrait s’agir d’hallucinations ou de délire. Ainsi, l’alcoolisme ou la toxicomanie en milieu de travail peuvent représenter un réel problème pour certains employeurs, lequel s’avère souvent difficile à gérer notamment en raison des aspects légaux qui s’y rattachent.

Obligations de l’employeur et des employés

Une panoplie de dispositions légales ou contractuelles encadrent les devoirs et responsabilités des employeurs et des employés. Les premiers doivent prendre les mesures appropriées en vue de protéger la santé et assurer l’intégrité physique de leurs employés. Ceux-ci sont assujettis aux mêmes obligations en ce qui concerne leur propre personne et toute autre personne se trouvant sur les lieux du travail.

Ainsi, un employeur ne peut tolérer la consommation de drogues ou d’alcool sur les lieux du travail. Lorsque la santé et la sécurité des employés ou des tiers peuvent être à risque, l’employeur et ses représentants s’exposent à des poursuites criminelles et pénales notamment s’ils font preuve de négligence par leurs actes ou omissions. Les conséquences peuvent être des amendes salées, voire même des peines d’emprisonnement selon le Code criminel.

Une politique, un incontournable

Compte tenu de l’ensemble des dispositions légales et des peines sévères applicables, l’adoption d’une politique en matière de drogues ou d’alcool est un devoir qui incombe à tous les employeurs québécois.

Une telle politique, en plus d’énoncer des normes d’entreprise claires et les responsabilités de chacune des parties, pourrait dissuader la consommation ou faciliter la prise de conscience d’une éventuelle dépendance. Une politique officielle facilite la gestion au sein d’une entreprise et assure une certaine équité et transparence lors d’interventions.

La politique doit être compatible avec une convention collective et raisonnable du point de vue juridique. Il est également primordial de la diffuser à l’ensemble de la main-d’œuvre, existante et future, afin que les employés en prennent conscience. Offrir une formation permettant d’obtenir des connaissances de base des responsabilités de chacun s’avère ainsi une démarche essentielle.

Observer ou enquêter

Il est essentiel de pouvoir relever des modifications quant au comportement d’un employé consommateur de drogues et de documenter celles-ci. Il est à noter que certains changements peuvent découler d’une problématique liée à la santé mentale sans lien avec la toxicomanie. Or, dans un cas comme dans l’autre, l’employeur serait justifié d’intervenir en lançant une enquête, et ce, sans admission de la part de l’employé ou preuve claire de consommation. Il importe toutefois d’avoir documenté des modifications aux comportements ou à la prestation au travail qui sont sources de préoccupations.

L’employeur devrait s’attarder à certains éléments liés à la prestation de travail, dont une baisse de productivité, une
hausse des absences ou encore le refus de suivre des instructions des supérieurs (voir encadré). Les ennuis financiers peuvent parfois être des sources d’un abus de substances.

Quant aux symptômes plus objectifs, différents changements pourraient être notés au niveau psychomoteur (élocution, mouvements plus ou moins rapides ou coordonnés, temps de réaction, pertes d’équilibre). L’employé peut sembler plus stressé, impatient, agressif ou intolérant. Il peut aussi démontrer de l’apathie, des pertes de concentration ou de mémoire.

À ces éléments, on peut ajouter les preuves matérielles telles que les objets liés à la consommation de drogues ou d’alcool. Les odeurs de drogues ou d’alcool devraient aussi être bien documentées.

Par ailleurs, le fait d’obtenir une déclaration d’un ou de plusieurs témoins concernant la consommation de drogues ou d’alcool sur les lieux du travail pourrait permettre à un employeur d’imposer des tests de dépistage dans le cas d’emploi à risques élevés. On pourrait aussi envisager des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement, selon les circonstances.

Un employeur qui détient des motifs raisonnables pourrait obtenir des informations médicales pertinentes sur la santé de ses employés afin de s’assurer de leur aptitude au travail. Ces informations peuvent parfois être obtenues par un médecin expert désigné par l’employeur.

Lorsqu’un employeur a documenté plusieurs signes ou symptômes objectifs en plus des changements de comportement, il sera en mesure d’intervenir. Toute intervention devrait donc être précédée d’une enquête sérieuse incluant une rencontre avec l’employé pour obtenir sa version des faits. Selon les résultats de l’enquête, l’employeur pourrait requérir des tests de dépistage ou imposer des mesures administratives ou disciplinaires.

Il faut néanmoins garder à l’esprit que les tribunaux considèrent l’alcoolisme et la toxicomanie comme des handicaps. De ce fait, l’employeur peut avoir une obligation d’accommodement. Cela peut se traduire par des absences autorisées pour cure de désintoxication, l’aménagement d’un horaire pour un suivi à l’externe ou la conclusion d’une entente particulière. Cette dernière pourrait inclure, par exemple, les obligations de l’employé et les sanctions éventuelles en cas de violation de celles-ci.

Tests de dépistage, quand et comment?

Les tribunaux ont reconnu à quelques reprises que le recours à des tests de dépistage est approprié, notamment chez les employés occupant des postes à risques élevés pour la santé et la sécurité. Pour ces derniers, les tests de dépistage sont permis avant l’embauche, en présence de motifs raisonnables de croire que l’employé a consommé, en cas d’accident important et lors du retour au travail après une absence liée à la consommation de drogues ou d’alcool. D’ailleurs, un employé ayant suivi un traitement pour dépendance aux drogues peut même faire l’objet de tests de dépistage aléatoires pendant une certaine période suivant sa réintégration au travail. Une entente particulière à cet effet s’avère toutefois nécessaire.

Notons qu’il existe différentes méthodes pour dépister les drogues, dont la plus utilisée est le dépistage urinaire. Celui-ci s’avère moins dispendieux que les dépistages sanguins ou capillaires et détecte l’utilisation récente de drogues (généralement dans les trois jours précédents). De plus, il permet le dépistage du plus large éventail de drogues et ses résultats sont juridiquement défendables.

Le dépistage via la salive permet de détecter les drogues immédiatement après leur consommation parce qu’il mesure les drogues qui se trouvent dans le système de l’employé lors du prélèvement. Le dépistage capillaire, quant à lui, fournit l’historique de consommation de l’employé sur une période d’environ 90 jours.

Quelle que soit la méthode utilisée, les dépistages doivent se faire dans une clinique spécialisée utilisant un laboratoire accrédité pour les analyses de drogues. Il est essentiel de suivre une procédure rigoureuse afin d’éviter les erreurs et la falsification (substitution) des échantillons. Les tests positifs doivent être revus et interprétés par un médecin-réviseur qui s’assure de la validité des résultats et détermine si un problème médical chez l’employé pourrait expliquer un test positif.

Ce dernier point souligne l’importance de consulter des experts à l’égard d’une problématique liée à la consommation de drogues ou d’alcool. Un dossier bien documenté et une enquête sérieuse permettent de bien cerner les situations exigeant des tests de dépistage. Enfin, une politique claire et détaillée en matière de toxicomanie ne peut que faciliter les actions qu’un employeur pourrait et devrait poser.

Me Marie-Hélène Jolicoeur est avocate associée chez Lavery, De Billy

Christiane Legault est directrice du développement des affaires à Cyclone Santé