La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) vient de participer à un investissement de 400 millions $ US dans Celsius Network, une plateforme d’intérêts et de prêts sur cryptomonnaies dans la ligne de mire des autorités de marchés aux États-Unis.

La fintech fondée en 2017 se spécialise dans les dépôts et les prêts de cryptomonnaies, comme le Bitcoin ou l’Ethereum. Plus d’un million de clients sont inscrits sur sa plateforme, selon la fintech qui dit avoir un actif total de 25 milliards $ US.

L’entreprise est « un peu comme une banque du futur », explique Louis Roy, président de Catallaxy, la filiale de Raymond Chabot Grant Thornton spécialisée dans la chaîne de bloc. « Les gens qui détiennent des cryptomonnaies peuvent déposer leurs cryptos et obtenir un rendement comme si c’était un compte de banque. Aussi, il est possible d’obtenir du financement en donnant en garantie ta crypto et tu obtiens un prêt en dollars. »

Une partie de son modèle d’affaires repose sur les cryptomonnaies déposées qu’elle prête aux investisseurs institutionnels. Celsius affirme que 80 % des sommes tirées de cette activité sont remises aux déposants sous forme d’intérêts. Les 20 % restants servent à financer son développement. Depuis trois ans, elle affirme que la valeur des intérêts versés équivaut à 850 millions $ US. Les taux d’intérêt sur certains produits de Celsius Network peuvent s’élever jusqu’à 17 %.

Il s’agit d’un secteur en pleine ébullition, constate M. Roy. Il note que d’autres joueurs canadiens comme Ledn et First Block sont également dans le marché. La décision d’y investir pourrait être bonne dans un contexte de portefeuille bien diversifié comme celui de la Caisse, juge-t-il. « Il ne serait pas étonnant qu’une banque décide d’acquérir ce genre d’entreprise, si le contexte réglementaire lui permet un jour d’offrir ce type de service. »

Cette technologie des chaînes de bloc présente un potentiel perturbateur pour plusieurs secteurs de l’économie traditionnelle, affirme Alexandre Synnett, premier vice-président et chef des technologies à la CDPQ. « À mesure que le taux d’adoption des actifs numériques augmentera, nous avons l’intention de saisir les bonnes occasions d’investissement, tout en travaillant avec nos partenaires pour réglementer l’industrie », commente-t-il dans un communiqué.

L’investissement mené par WestCap, la société de capital de croissance de l’ancien chef des finances d’Airbnb Laurence Tosi, en partenariat avec la Caisse, établit une valeur totale de 3 milliards $ US à Celsius Network.

Contexte réglementaire à clarifier

La transaction survient un mois après que Celsius se fut retrouvée dans la ligne de mire des autorités de marchés du Texas et du New Jersey. Elles allèguent que le versement d’intérêts sous forme de la cryptomonnaie émise par Celsius, le CEL, constitue une offre de valeur mobilière non enregistrée. L’entreprise conteste cette interprétation.
Pour M. Roy, il est normal qu’il existe un « flou » réglementaire autour de nouvelles technologies comme la chaîne de bloc. Il juge que Celsius est un acteur crédible qui collabore avec les organismes réglementaires. « Ils sont dans une zone où il n’y a pas de directives claires, mais tout ça évolue très rapidement. »

Les 400 millions $ US investis par la Caisse et son partenaire permettront à la fintech d’embaucher de nouveaux employés et de développer de nouveaux produits. Alex Mashinsky, chef de la direction de Celsius, juge cependant que cet investissement permettrait d’abord et avant tout de rassurer les régulateurs et de renforcer la crédibilité de son service. « Ce n’est pas le 400 millions $ US, répond-il à un journaliste du Financial Times. C’est la crédibilité qui vient avec les gens qui signent le chèque. »

La Caisse et WestCap ont toutes deux exprimé leur confiance envers l’entreprise et ont assuré que la fintech collaborait avec les organismes réglementaires. « Celsius est le principal prêteur de cryptomonnaies au monde et possède une équipe de direction solide qui place la transparence et la protection de la clientèle au c?ur de ses activités », dit M. Synnett.

Des cryptomonnaies polluantes ?

Chez Greenpeace, on est déçu de voir la Caisse investir dans les cryptomonnaies, qui nécessitent une consommation électrique importante. L’empreinte carbone du Bitcoin est équivalente à celle de la Roumanie, selon des données de Digiconomist.

À la Caisse, on répond que Celsius est une plateforme financière et non pas une cryptomonnaie. L’entreprise veut devenir carboneutre dans les prochaines années. Les opérations de minage de Celsius pour le CEL se font exclusivement à partir de l’Amérique du Nord, « où elle peut compter principalement sur des sources d’énergies renouvelables », indique la porte-parole Elena Gabrysz.

Des cryptomonnaies polluantes sont tout de même échangées sur cette plateforme, même si Celsius ne les produit pas, déplore Patrick Bonin, de Greenpeace. « On se met des œillères du côté de la Caisse et on ne voit pas l’ensemble du portrait. Oui, Celsius est sur le web et ne produit pas nécessairement autant d’émission, mais on ne se force pas de voir plus loin. »

À plus long terme, la technologie de chaîne de bloc pourrait devenir plus verte à mesure qu’on réclamera du « minage vert » à partir de source d’énergie moins polluante, anticipe M. Roy. Il note que la traçabilité des cryptomonnaies faciliterait même l’identification des cryptos produites avec de l’énergie renouvelable. Il croit même que la technologie de la chaîne de bloc amènera des efficiences du système financier qui pourrait à terme rendre l’industrie moins énergivore.