La tourmente dans laquelle se trouve SNC-Lavalin préoccupe son plus important actionnaire, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui est sortie de sa réserve habituelle pour exiger des « actions décisives ».

Il s’agit d’un changement de ton marqué alors que le bas de laine des Québécois a épaulé la firme dans sa croissance au cours des dernières années tout en se portant à la défense de cette dernière en dépit des accusations criminelles qui pèsent sur elle depuis 2015.

Lundi, la CDPQ a toutefois signalé que sa patience avait des limites quelques heures après l’annonce d’une autre restructuration chez SNC-Lavalin, qui comptabilisera notamment une charge de 1,9 G$ en plus de retirer ses prévisions pour l’exercice puisque l’entreprise devrait afficher des résultats « nettement inférieurs » à ce qui était attendu. La firme abandonnera également les contrats à prix forfaitaire et pourrait se départir de ses activités dans le domaine des hydrocarbures.

« La situation dans laquelle se trouve la société exige des actions décisives, sans délai, de la part de son conseil d’administration », a fait valoir le gestionnaire de régimes de retraite, dans un communiqué.

Les mauvaises nouvelles dévoilées par SNC-Lavalin ont aussi déplu aux investisseurs, puisque lundi après-midi, à la Bourse de Toronto, l’action de la firme abandonnait 6,04 %, ou 1,54 $, pour se négocier à 23,97 $.

La Caisse, qui détient une participation d’environ 20 % dans l’entreprise, a qualifié la tendance actuelle d’« inacceptable », ajoutant qu’elle comptait suivre la situation « de près » dans les « prochaines semaines », sans toutefois commenter davantage.

Pourtant, pas plus tard qu’en février, en marge du dévoilement des résultats annuels de l’institution, son président et chef de la direction, Michael Sabia, avait estimé que le potentiel de la firme québécoise demeurait « impressionnant ». Il avait également rappelé que la société avait apporté d’importants changements au sein de sa gouvernance et de son équipe de direction depuis 2012, lorsque les scandales ayant entaché sa réputation ont éclaté.

En plus de son bloc d’actions, la Caisse avait également prêté 1,5 G$ à SNC-Lavalin afin de l’aider à acquérir la firme londonienne WS Atkins en 2017 pour 3,6 G$.

Un virage

Dans un effort visant à s’éloigner de la vision de son prédécesseur, où les activités de construction ainsi que le secteur pétrolier et gazier jouaient un rôle important, le président et chef de la direction par intérim de la société, Ian Edwards, a opté pour un virage vers les services d’ingénierie, de conception ainsi que vers le secteur nucléaire.

En plus de cesser de soumissionner sur des contrats à prix fixe, qui font souvent l’objet d’importants dépassements de coûts, SNC-Lavalin regroupera ses activités liées aux ressources et à la construction, deux segments où la performance est loin d’être au rendez-vous, dans une entité distincte.

Nommé en juin en remplacement de Neil Bruce, qui avait quitté pour la retraite, M. Edwards a estimé qu’il s’agissait d’une « première étape » afin de réduire le niveau de risque.

« Les projets clé en main à prix forfaitaire sont la cause première des problèmes de rendement, a-t-il estimé, dans un communiqué. En abandonnant ce type de contrats (…) nous nous attaquons à la source du problème. »

La firme montréalaise explorera aussi « toutes les options » pour son secteur des ressources, y compris la vente de ses activités pétrolières et gazières, où l’on comptabilisera une charge de dépréciation supplémentaire de 1,9 G$. SNC-Lavalin s’attend également à dévoiler, le 1er août, une perte d’exploitation ajustée liée aux activités d’ingénierie et de construction oscillant entre 150 M$ à 175 M$.

Plus tôt cette année, SNC-Lavalin avait sabré ses prévisions pour 2018 à deux reprises en trois semaines en plus de cesser de soumissionner sur des projets miniers. L’entreprise avait cité les turbulences provoquées par la querelle diplomatique entre le Canada et l’Arabie saoudite, un marché névralgique du secteur pétrolier et gazier, ainsi que des retards liés à un contrat minier au Chili, qui a été annulé par la société d’État Codelco.

De plus, en mai, SNC-Lavalin avait dévoilé un plan visant à réduire son empreinte dans 15 pays en plus d’afficher une perte de 17 M$ au premier trimestre.

Si les nouvelles financières ont été qualifiées de négatives par les analystes financiers, ceux-ci ont néanmoins estimé que la compagnie prenait les mesures nécessaires pour tenter de redresser la barre.

« Nous avons fait valoir la nécessité d’un virage stratégique vers (les services d’ingénierie) ainsi que le nucléaire et cette étape est maintenant franchie », a estimé Maxim Sytchev, de la Financière Banque Nationale, dans une note.

Visage différent

Aux commandes de SNC-Lavalin pendant près de quatre ans, M. Bruce avait réalisé l’acquisition d’Atkins, la plus importante de l’histoire de l’entreprise, en 2017. L’exposition de la firme au secteur pétrolier et gazier s’était également élargie avec l’achat de Kentz pour 2,1 G$ en 2014.

L’an dernier, cette division a représenté environ le quart des revenus totaux de 10,08 G$. Elle n’a toutefois généré que 3,8 % des bénéfices avant intérêts et impôts, soit le pourcentage le plus faible de ses quatre principales divisions de la firme. De son côté, la parte du secteur mines et métallurgie été 345,6 M$.

Les activités liées aux contrats à prix fixe seront regroupées sous l’entité SNCL Projets. D’après l’analyste Chris Murray, d’Altacorp Capital, le carnet de commandes de la firme compte pour 3,2 M$ de contrats à prix fixe, dont celui du Réseau express métropolitain. Les activités jugées plus profitables se retrouveront sous l’égide de SNCL Services d’ingénierie.

Environ 80 % des contrats à prix fixe devraient être complétés à la fin de 2021, selon M. Murray, qui s’attend à ce que le tout soit complété d’ici 2024.

SNC-Lavalin est également au cœur d’une tempête politique qui continue d’ébranler le gouvernement Trudeau en raison de pressions indues qui auraient été effectuées auprès de l’ex-procureure Jody Wilson-Raybould afin qu’elle négocie une entente à l’amiable avec la compagnie pour lui éviter un procès criminel.