Trop restrictive pour les employeurs, pas assez pour les syndicats, la réforme sur les normes du travail qui prévoit l’interdiction des futures clauses de disparité de traitement dans les régimes de retraite ne satisfait personne dans sa forme actuelle.

S’il est adopté, le projet de loi déposé en mars interdira certes la création de nouvelles clauses de disparité de traitement, mais n’aura aucun effet sur celles déjà en vigueur. « C’est un peu comme si on avait appliqué une clause de disparité de traitement sur l’enjeu des clauses de disparité de traitement. En fait, on rend légal ce que le projet de loi vise à rendre illégal », a déploré le secrétaire générale de la FTQ, Serge Cadieux, lors du Séminaire sur la retraite de l’organisation syndicale, le mois dernier. Évoquant une « victoire en demi-teinte », il soutient tout de même qu’il s’agit d’un « gain important » pour les travailleurs québécois.

« Deux travailleurs chez le même employeurs devraient avoir accès au même régime de retraite », insiste pour sa part Sophie Tremblay, présidente de Force Jeunesse. Elle craint que le projet de loi ne crée du ressentiment et de la frustration chez les jeunes travailleurs. « On risque d’assister à une montée de la tension entre les différentes générations de travailleurs », dit-elle.

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Les vertus de la négociation

Plutôt que de « légaliser » les clauses de disparité existante, la FTQ aurait souhaité que Québec mette en place une période transitoire au cours de laquelle les parties auraient pu négocier dans chacun des milieux de travail et trouver une solution équitable pour tout le monde. C’est d’ailleurs l’approche qui avait été privilégiée en 1999, lorsque le gouvernement avait décidé de mettre fin à l’ensemble des clauses orphelin, à l’exception de celles concernant les régimes de retraite et d’assurance collective.

« Cela aurait permis de rétablir le rapport de force entre les parties. Celles-ci auraient pu se rejoindre entre les deux, par exemple en misant sur un régime à prestations déterminées un peu moins généreux. Avec la loi 29, les coûts d’un régime PD peuvent-être équivalents à ceux d’un régime CD », affirme Serge Cadieux.

D’autres solutions auraient également pu être envisagées, comme les régimes de retraite à financement salarial (RRFS). « On a toujours été capable de trouver des solutions en négociant. Avec un peu de créativité, cela n’aurait pas causé d’onde de choc. Mais actuellement, il n’y a aucun incitatif à trouver des solutions dans la législation », poursuit Serge Cadieux.

Bref, la FTQ balaie du revers de la main les arguments voulant que d’interdire toutes les clauses de disparité de traitement aurait nécessairement mené à la fermeture massive des régimes PD.

Le projet de loi n’ayant pas encore été adopté à l’Assemblée nationale, les syndicats, dont la FTQ, comptent bien se faire entendre lors des consultations particulières qui se tiendront prochainement. L’exercice sera toutefois délicat pour les organisations syndicales : si elles s’opposent trop fortement, le projet de loi risque de mourir au feuilleton. Or, celui-ci apporte de nombreux gains pour les travailleurs, notamment en matière de congés payés, fait remarquer Sophie Tremblay.

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Une question d’équivalence

S’exprimant sur la question lors d’une conférence organisée par l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite (ACARR) mercredi, le président de la CSN, Jacques Létourneau, a déploré que la problématique demeure entière pour les clauses existantes. Partageant la position de la FTQ, il est d’avis que d’interdire l’ensemble des clauses de disparité de traitement, tout en introduisant une période transitoire, aurait permis de régler la question lors de négociations.

« Une telle loi aurait en quelque sorte permis de protéger les syndicats contre eux-mêmes, a-t-il expliqué. Dans les assemblées syndicales, les vieux ont tendance à défendre les vieux, et les jeunes à défendre les jeunes. Ça explique pourquoi autant de clauses de disparité de traitement ont été votées dans le passé. »

Jacques Létourneau croit également que Québec aurait dû introduire des mécanismes d’équivalence pour faciliter les négociations. « Notre objectif n’est pas de ramener tout le monde dans des régimes PD. C’est simplement de faire en sorte que tous les employés d’une même entreprise ait un régime d’une valeur équivalente. Car on sait très bien que beaucoup d’employeurs ont diminué leur taux de cotisation à leur régime de retraite lorsqu’ils ont fermé leur régime PD. »

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Des clauses de « différenciation », pas de disparité

Le discours est tout autre du côté patronal. Le président-directeur général du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Yves-Thomas Dorval, insiste sur le fait que les clauses de disparité de traitement sont essentielles pour respecter les promesses faites aux travailleurs dans le passé, tout en permettant d’offrir aux jeunes employés des régimes de retraite « plus adaptés ». D’ailleurs, M. Dorval parle plutôt de clauses de « différenciation », et non de disparité.

« On est capable d’accommoder deux groupes d’employés sans qu’ils aient nécessairement exactement le même régime de retraite, par exemple avec un régime d’actionnariat », souligne-t-il, tout en s’inquiétant des possibles conflits de travail que les nouvelles règles risquent de créer dans les milieux de travail. « Il y a de grandes entreprises offrant de très bonnes conditions de travail qui ont indiqué qu’elles n’investiraient plus au Québec. »

Concernant les équivalences entre différents régimes de retraite, Yves-Thomas Dorval affirme que ce n’est pas au gouvernement d’imposer les règles, mais plutôt aux différentes parties de les déterminer lors de négociations. « Les régimes CD et les régimes PD comportent chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Imposer le même régime à tous n’est pas forcément la meilleure solution », dit-il.

La réalité démographique ne justifie en rien l’interdiction des clauses de disparité de traitement, poursuit-il. « La pénurie de main-d’œuvre fait en sorte que les employeurs n’ont pas le choix d’offrir de bonnes conditions pour attirer les travailleurs, en particulier les jeunes. Le rapport de force glisse tranquillement du côté des jeunes. On était dans une situation vivable, mais là, ça va être le bordel. »

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