Responsabilité partagée
Les limites de la responsabilité de l’employeur demeurent floues quant à la saine gestion de l’épargne de l’employé, que celle-ci ait été acquise au sein d’une seule ou de plusieurs entreprises. Jean-Daniel Côté soutient qu’il y a deux grandes écoles de pensées à ce sujet. « D’un côté, il y a les employeurs qui considèrent que leur rôle est d’aider leurs employés à accumuler de l’épargne-retraite, mais qui ne voient pas pourquoi ils devraient être responsables des 34 années passées dans d’autres entreprises simplement parce qu’ils sont les derniers dans la carrière de l’employé. De l’autre, il y a ceux qui estiment qu’ils ont une certaine responsabilité sociale, et vont par exemple garder leurs retraités dans le régime en offrant des FRV et des FERR collectifs. »

« La protection de l’épargne accumulée pendant la vie active repose sur les épaules de l’employé, peu importe le type de régime », affirme pour sa part Pierre-Luc Meunier, qui croit que le rôle de l’employeur ne se substituera jamais à un planificateur financier pour la simple et bonne raison que le premier ne connait pas le portrait global du patrimoine de chacun de ses salariés. M. Meunier reconnaît néanmoins que le rôle des promoteurs a évolué au fil des années. « Avec les régimes PD, les employés étaient habitués à ce que l’employeur soit plus paternaliste. Il existait une présomption chez les travailleurs que le régime allait faire le travail pour eux. »

Jimmy Carbonneau est moins catégorique : « Je serais porté à dire que la responsabilité d’un employeur va aussi loin que la situation financière de l’employé a une influence sur sa performance au travail. C’est bien documenté, les employés qui ont une situation financière plus saine sont plus productifs, s’absentent moins et apprécient davantage leur salaire. C’est comme un programme d’aide aux employés. Le jeu en vaut la chandelle », assure-t-il.

Dans certains cas, les employeurs qui ignorent les besoins en planification financière de leurs employés se tirent dans le pied. « Des employés de 60 ans qui gagnent un bon salaire, mais qui n’ont aucune épargne ne pourront pas partir à la retraite. Soutenir les employés et leur fournir les bons outils permet aux employeurs d’avoir un roulement de personnel sain », affirme Jimmy Carbonneau.

Attraction ou rétention ?
Plus fondamentalement, on peut tout de même se demander si les régimes de retraite, conçus à la base pour retenir les employés, n’ont pas perdu de leur pertinence dans un marché de l’emploi qui ne valorise plus autant les longues carrières au sein d’une même organisation. Tout dépend des modalités des régimes offerts, croient les experts consultés.

« Ce qui distingue un régime, c’est sa capacité à contribuer à l’épargne-retraite d’un employé, peu importe le nombre d’années qu’il sera au service de l’entreprise. Dans les régimes PD, la notion de temps est effectivement importante, mais dans le cas des régimes CD, la vraie valeur réside dans les dispositions, surtout la contribution de l’employeur », croit Jimmy Carbonneau.

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Plus que jamais, les régimes de retraite doivent être considérés dans un contexte de rémunération globale, croit-il. « Les gens ne le réalisent pas au début, mais un régime de retraite c’est comme de la paie. Après un certain temps, les gens sont impressionnés de voir les sommes qu’ils ont accumulées. De là l’importance pour les promoteurs de fournir régulièrement des relevés de rémunération pour que les employés puissent constater qu’en réalité, ils gagnent généralement de 125 à 135 % de leur salaire. »

Un point de vue que partage Martin Dupras, qui ajoute que le meilleur moyen de faire comprendre la valeur d’un régime à un employé, c’est de le convaincre qu’en ne cotisant pas, il laisse de l’argent sur la table, peu importe le type de régime, et peu importe la période de temps où il sera à l’emploi d’une organisation.

Il faut tout de même reconnaître que les régimes de retraite n’ont pas la même valeur dans la tête d’un employé de 25 ans et d’un autre de 45 ans. Ce constat fait prendre tout son sens à « l’approche cafétéria », qui pourrait être envisagée par les entreprises souhaitant exercer un fort pouvoir d’attraction à la fois sur les jeunes employés et sur les travailleurs en milieu de carrière, avance Jean-Daniel Côté. « Sur une enveloppe de rémunération globale totale, les employés peuvent décider s’ils veulent davantage en salaire ou davantage en cotisations pour leur régime de retraite. Il s’agit effectivement d’une structure plus complexe pour les employeurs, mais qui peut s’avérer payante en terme de recrutement. »

Mais la personnalisation a tout de même ses limites, et doit concerner davantage la communication que l’offre d’épargne en tant que telle, croit Daniel Beaulieu, président de R.E.G.A.R. Régimes Collectifs.

« Il faut communiquer des messages ciblés selon le profil des employés, mais on ne peut pas offrir des programmes d’épargne différents pour chacun. Ce serait injuste qu’un employeur offre des conditions plus avantageuses à un employé dans la quarantaine qui n’a accumulé aucune épargne au cours de sa carrière qu’un jeune employé qui est beaucoup plus discipliné. C’est une question d’équité intergénérationnelle », affirme-t-il.

Ce qui ne doit pas empêcher les promoteurs d’adapter leur régime à la réalité du marché de l’emploi. « Les gens ont la bougeotte. Les régimes qui ont de longs délais d’admissibilité, ça ne fonctionne plus aujourd’hui. Les employeurs doivent offrir un haut niveau de cotisation dès le début, et pas seulement après plusieurs années de service. Les employés doivent pouvoir constater rapidement la valeur de leur régime de retraite », assure Daniel Beaulieu.

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Selon Jimmy Carbonneau, les employeurs exonèrent de plus en plus les périodes d’admissibilité, tandis que les formules de cotisation nivelées sont devenues la norme, les taux de cotisation basés sur les années de service étant un héritage des régimes PD.

Cela dit, les modalités d’un régime doivent avant tout être élaborées pour répondre à des objectifs de gestion des ressources humaines, note Jean-Daniel Côté. « Une entreprise qui évolue dans un domaine où le roulement de main-d’œuvre est important aura avantage à offrir un modèle de régime de retraite permettant d’attirer des talents immédiatement. Inversement, les entreprises qui désirent conserver longtemps des employés d’expérience privilégieront des régimes avec un fort potentiel de rétention, en récompensant les longues années de service par exemple. »

Les bases demeurent
Mais ultimement, les régimes de retraite demeurent avant tout de puissants outils de rétention de personnel pour les employeurs, et malgré le butinage professionnel des travailleurs d’aujourd’hui, leur rôle demeure essentiellement le même.

« Les employeurs bâtissent leur régime en fonction des gens qui vont avoir une longue période de service au sein de l’organisation. Oui il y a de la mobilité, mais l’objectif n’est pas de créer des régimes pour des gens qui vont passer trois ans dans l’entreprise. Ils s’adressent avant tout aux employés qui vont y avoir une longue carrière et aux travailleurs en fin de carrière », tranche Pierre-Luc Meunier.

Par ailleurs, même si le contexte actuel du marché du travail semble jouer contre eux, les régimes PD n’ont pas dit leur dernier mot. « Les entreprises qui ont maintenu le cap avec leur régime PD, malgré les difficultés, vont avoir tout un avantage concurrentiel. Les rentes sont en quelque sorte des récompenses pour les employés qui sont restés loyaux pendant toute leur carrière », soutient l’actuaire.

Et pour attirer les employés moins loyaux ? « Faciliter le transfert entre les régimes n’est pas contreproductif. Ce n’est pas en rendant les régimes plus restrictifs que l’on va être en mesure de retenir et attirer les employés, mais en les rendant plus généreux », affirme Martin Dupras.

« La mobilité amène davantage une culture d’épargne qu’une culture de retraite », estime de son côté Pierre-Luc Meunier. Car s’il est vrai que le marché de l’emploi est en pleine transformation, il en sera probablement de même pour le concept de retraite.

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