Combien de fois a-t-on entendu affirmer que les Québécois ne s’intéressent guère à la retraite car il s’agit d’un futur lointain ? C’est l’une des raisons pourquoi l’industrie des régimes de capitalisation consacre de grands efforts à améliorer la mobilisation des employés – jeunes et moins jeunes – envers leur régime.

Plus on s’approche de la retraite, plus celle-ci devient tangible. Quand l’on s’apprête à passer de la phase d’accumulation à celle du décaissement, une certaine urgence s’empare de la gestion des finances. Beaucoup de participants au sein des régimes d’employeur auront certes besoin d’aide supplémentaire. La recevront-ils ?

« La nécessité d’aider les employés lors de la phase de décaissement est cruciale, car c’est là qu’on trouve les rendements les plus importants », observe Robert Tellier, vice-président régional, Solutions retraite et assurances collectives au Québec à la Financière Manuvie. « Pour chaque 100 $ de revenus à la retraite, 20 $ viennent des cotisations et 30 $ des rendements accumulés lorsque le participant est en emploi. La moitié serait donc attribuable aux rendements sur les investissements une fois à la retraite. »

De son côté, Anthony Cardone, vice-président régional, services de retraite collectifs à la Great-West, prévient des risques de détruire tout le bon travail effectué lors de l’accumulation : « Un mauvais choix lors de la phase de décaissement pourrait mettre en péril les revenus à la retraite. »

Si le besoin d’aider les retraités semble faire l’unanimité, il existe une certaine réticence chez les promoteurs de s’impliquer davantage auprès de ceux qui ne se présentent plus au bureau tous les jours. Or, note M. Cardone, l’entreprise qui aide ses retraités fait preuve d’implication envers l’ensemble de la main-d’œuvre. Ce qui n’est pas sans réconforter les employés actifs, qui seraient ainsi plus productifs. « Lorsque les employés comprennent leurs options, ils dédient moins de temps à s’informer », explique-t-il.

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De plus, certains travailleurs n’ayant pas assez économisé ou qui ignorent s’ils disposent de fonds suffisants pour la retraite risquent de rester plus longtemps au travail. Cela pourrait s’avérer frustrant pour les employés plus jeunes de voir les occasions de promotion réduites. « Si on veut que les employés aient confiance en leur régime de retraite, les employeurs devraient viser les meilleurs résultats », conclut M. Cardone, ajoutant que les employés satisfaits de leur régime sont plus susceptibles d’en faire la promotion auprès de leurs collègues.

Guy Beaulieu, conseiller principal chez PBI Conseillers en actuariat, affirme que les participants à l’aube de la retraite ne s’inquiètent pas uniquement de la gestion de fonds. « S’impliquer au décaissement répond au besoin d’encadrer ces personnes qui se demandent également comment ils vont passer à travers cette étape. Elles peuvent avoir un éventail de questions, et en prenant de l’avance pour y répondre, tout le monde sort gagnant », dit-il.

Plus tôt, mieux c’est ?
La phase d’accumulation vise à encourager une participation hâtive pour s’assurer des cotisations sur une longue période. Quand il s’agit de décaissement, une tendance comparable semble se dessiner. « Il faut aborder la période d’accumulation avec un plan de ce qu’on veut faire à la retraite, pour épargner des sommes en fonction d’un objectif. C’est ainsi utile pour l’employé actif de connaître les grands concepts sous-jacents à la phase de décaissement. Ce n’est pas assez d’y penser cinq ans avant la retraite », estime Lysane Huard, conseillère principale chez PBI. « L’accumulation et le décaissement constituent un continuum pour bâtir des revenus à la retraite. »

Même son de cloche chez Robert Tellier : « Les stratégies de décaissement doivent faire partie de la conversation avant la retraite pour mieux encadrer les employés en milieu de carrière ou vers la fin de leur carrière. D’ailleurs, on pourrait imaginer que pour ces employeurs qui se soucient de s’impliquer lors de la retraite, la solution soit en partie de s’impliquer davantage lors de l’accumulation. »

Jean-Daniel Côté, membre du partenariat chez Mercer, précise que les retraités ont besoin d’une stratégie de placements plus personnalisée que lors de l’accumulation. Le problème serait particulièrement criant pour ces participants qui se sont contentés des options par défaut de leur régime. « Jusqu’à la retraite, un fonds à date cible fait bien son travail, dit M. Côté. Or, on voudrait convertir son épargne dans des catégories d’actif différentes une fois à la retraite. La bonne gestion d’actif est importante, surtout chez ceux dont l’épargne est insuffisante ou à peine suffisante. »

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Les futurs retraités ont besoin de renseignements ciblés en fonction de leur épargne, de leur style de vie ainsi que des prestations des régimes gouvernementaux. On voudrait aussi prendre en compte les régimes et la retraite souhaitée de son conjoint, observe Anthony Cardone. « Les participants dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais pourraient aussi avoir besoin d’aide supplémentaire pour comprendre les options, dit-il. On y pense peut-être rarement, mais c’est à prendre en considération. »

Responsabilités et risques
Les lignes directrices pour les régimes de capitalisation de l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite (ACARR) encadrent la notion de fournir des informations sur les produits offerts en matière de décaissement afin d’aider les participants à prendre des décisions éclairées.

Certains promoteurs de régimes expriment toutefois des soucis quant aux risques associés à une participation accrue dans la vie des anciens employés à la retraite.

Jean-Daniel Côté note qu’il existe plus d’ouverture à s’impliquer lors de la transition vers la retraite que dans la phase de décaissement. « Cela dépend beaucoup de la philosophie de l’employeur. Certains diront qu’ils ne veulent pas assumer de risque pour ces employés qui sont partis. D’autres auront l’impression que c’est le fournisseur du régime qui est responsable de les aider. Il y en aura toutefois qui estiment qu’à moindre coût, ce serait avantageux pour l’ensemble des participants car en permettant le décaissement à même le régime de retraite, il y a plus d’actifs à gérer. »

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Les retraités pourraient certes bénéficier d’une mise en commun des frais. Mais il importe de se questionner sur la capacité du régime d’offrir des options intéressantes pour le décaissement. Par exemple, est-ce que les fonds à date cible amènent les participants à une répartition d’actifs appropriée pour la retraite ? À ce sujet, M. Côté note de l’intérêt pour une personnalisation des fonds afin d’avoir une approche qui ne s’arrête pas à la date du départ à la retraite. Au contraire, ils seraient conçus pour couvrir l’ensemble de la retraite. « Ce serait moins conservateur car on est conscient du besoin de gérer les actifs plus longtemps, dit-il. Il faut une répartition qui permet de combattre l’inflation ou encore la longévité. »

Protéger le promoteur
Il existe plusieurs options et stratégies pour permettre le décaissement à même le régime de retraite. Pour certains, l’achat de rentes semble être un outil intéressant pour que le participant s’offre un montant garanti. Or, d’autres affirmeront que le contexte actuel de faibles taux d’intérêt ne s’y prête pas.

On pourrait aussi penser qu’une plus grande automatisation pour équilibrer le portefeuille de retraite serait également utile – l’arrivée de logiciels de style « robot-conseiller » s’avère peut-être intéressante à cet égard.

Mais outre les outils sélectionnés, l’implication des promoteurs demeure importante. Pour cela, une certaine volonté politique est nécessaire. « Il faut un cadre plus rigoureux pour mieux protéger les employeurs qui veulent aider leurs travailleurs, constate Robert Tellier. Pensons à la règle refuge, ou safe harbour, qui existe aux États-Unis, par exemple. Si on protège mieux les promoteurs, ils risquent d’être plus ouverts à soutenir davantage les employés, et ce, tout au long de leurs carrières. »

Ce faisant, on évite de les abandonner au moment critique. « Pour les employés, choisir la bonne option de revenus à la retraite s’avère probablement la décision la plus importante pour leur avenir », conclut Anthony Cardone. Et ce qui est bon pour les travailleurs a très souvent une incidence positive sur les entreprises.

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Cet article est tiré de l’édition de décembre 2015 du magazine Avantages. Il peut être téléchargé en format pdf.