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Vieillissement, maladies chroniques, détresse psychologique, invalidité… les défis que doivent surmonter les entreprises pour protéger la santé de leur organisation sont aussi nombreux que les maux qui affligent les travailleurs d’aujourd’hui. Heureusement, des solutions novatrices émergent un peu partout sur la planète.

« Selon l’Agence de la santé publique du Canada, près de 68 % des travailleurs canadiens sont inactifs, 32 % vivent un stress modéré ou élevé au travail et 61 % souffrent de surpoids. Ce sont tous des problèmes évitables. Ces chiffres nous disent qu’on fait face à un problème sérieux et que l’on doit agir du côté de la prévention », a affirmé Marie‑Claude Pelletier, présidente du Groupe Levia, lors de la conférence régionale de l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux (ICRA) le mois dernier.

Dans sa démarche, la spécialiste en stratégie de santé dans les organisations a analysé les pratiques développées dans différents pays du monde et dégagé les tendances lourdes qui seront à surveiller au cours des prochaines années. « À l’échelle mondiale, on remarque de plus en plus une tendance vers une approche globale qui allie la santé physique et la santé psychologique, alors que ces deux aspects étaient trop souvent abordés séparément auparavant », explique-t-elle.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) semble elle même être en voie de provoquer un changement de paradigme en passant d’une approche très organisationnelle de la santé des travailleurs à une approche beaucoup plus centrée sur l’individu dans sa globalité. « On sait que la vie personnelle d’un employé a un impact important sur son travail. On cherche à prendre en considération sa vie en entier pour élaborer des solutions, pas seulement sa vie professionnelle », avance Mme Pelletier.

Le Forum économique mondial a d’ailleurs estimé que la prévalence des maladies non transmissibles, incluant les problèmes de santé mentale, a un impact de 4 % sur le PIB mondial. « Le lien entre la santé et la performance économique est clairement démontré », ajoute-t-elle.

Sans surprise, c’est en Europe et en Amérique du Nord que les programmes les plus structurés et les plus avancés en matière de santé au travail ont été mis sur pied. « Certaines initiatives intéressantes existent dans les pays en voie de développement, mais évidemment, ces pays ont bien d’autres préoccupations économiques et sociales et accusent, on peut le comprendre, un important retard sur les pays industrialisés », constate-t-elle.

Il faut dire que bien des facteurs influencent la santé des travailleurs, des facteurs qui peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre. Au Canada, par exemple, considérant le système de santé publique et le contexte socio-économique, environ 40 % de l’état de santé d’un individu est tributaire d’éléments individuels, comme les habitudes de vie. « On doit aider les gens à modifier leurs comportements », estime Marie-Claude Pelletier.

Ailleurs dans le monde toutefois, cette proportion peut être bien différente lorsque sont pris en considération des éléments tels que les politiques économiques et sociales, l’accès aux soins de santé, parfois l’existence même de soins de santé, et le système juridique.

L’Europe et le dialogue social
En Europe, la tendance forte est aux mesures coercitives et à ce que l’on appelle le dialogue social. Les organismes gouvernementaux, les groupes sociaux et les représentants des salariés se sont mobilisés dans l’objectif de développer un cadre d’identification, de prévention et de gestion des problèmes de stress au travail, l’accord-cadre européen sur le stress au travail.

En France par exemple, les entreprises de 1000 employés et plus sont obligées d’identifier et de mesurer les risques psychosociaux présents dans leur organisation. De plus, dès 2016, les entreprises françaises, même les petites, auront l’obligation d’offrir un régime d’assurance collective à leurs employés. Et dans ces régimes, 2 % des primes devront être dédiés à la prévention. « Il a beaucoup d’initiatives mises en place au sujet des risques psychosociaux en Europe. On sent qu’il y a une mobilisation de différents pays pour s’attaquer à ce dossier-là », soutient Mme Pelletier.

L’élargissement du rôle traditionnel de la santé et sécurité au travail (SST) fait aussi partie du programme de plusieurs pays européens. « Dans le cadre de la tendance vers une approche plus globale en matière de gestion de la santé, on élargit le champ d’intervention de la SST pour inclure la prévention des risques psychosociaux dans la tâche même des inspecteurs qui évaluent les risques », explique-t-elle.

Cela dit, une vision plus globale de la santé a de la difficulté à s’implanter en Europe, où il y a culturellement une très grande cloison entre la vie privée et la vie professionnelle des travailleurs. « On ne peut pas rentrer dans la vie des gens en Europe, il y a un blocage total comparativement à ici où les milieux de travail sont plus conviviaux et ouverts à la discussion, remarque Marie-Claude Pelletier. Les interventions sont beaucoup plus axées sur le milieu de travail comme tel, on ne touche pas aux habitudes de vie. »

À ces initiatives s’ajoute un mouvement de fond pour améliorer les pratiques de gestion dans les organisations par l’ajout de dimensions de promotion de la santé, d’impact sur les processus et de capacité de production.

En Suisse, un consortium formé par les assureurs en partenariat avec le gouvernement a été constitué pour faire la promotion de la santé, particulièrement dans les milieux de travail. La population paie même une cotisation minime pour financer les activités de ce groupe, qui a notamment développé une certification nommée Friendly Work Space.

Dans plusieurs pays européens, au Danemark et en Autriche notamment, les lois et le code du travail ont été modifiés pour faire en sorte que les autorités liées au monde du travail aient le mandat pour évaluer les risques psychosociaux en entreprise et la formation adéquate pour proposer des mesures correctives.

États-Unis, terre d’innovation
L’Amérique du Nord, les États-Unis en particulier, est plus active dans le passage à l’action et le développement d’outils pour les employeurs, note Mme Pelletier, qui remarque une tendance marquée vers le concept de coresponsabilité.

« Avant, la responsabilité était strictement liée à l’employeur. Maintenant, elle est partagée par l’ensemble des parties prenantes autour du travailleur, ce qui inclut entre autres les assureurs, la CSST et les familles des employés. En Amérique du Nord, on peut agir autant dans la vie personnelle et quotidienne des employés que dans leur vie professionnelle », affirme-t-elle.

Cette façon de repenser la gestion de la santé dans les organisations s’inscrit dans l’approche Total Worker Health, qui réunit à la fois la protection et la promotion de la santé, deux aspects jugés très distincts auparavant.

Par exemple, l’Affordable Care Act donne maintenant le pouvoir aux employeurs et aux assureurs d’offrir des couvertures d’assurance incluant des incitatifs. Les employés ont ainsi avantage à participer aux programmes et activités mis en place dans l’espoir de voir leur prime diminuer. À l’inverse, les employés qui fument peuvent s’attendre à devoir payer une prime plus élevée que leurs collègues non-fumeurs.

Cette mouvance vers le concept de coresponsabilité a été particulièrement rapide aux États-Unis. Alors qu’en 2009, 30 % des employeurs offraient des incitatifs dans le pays, ils étaient 80 % à faire de même en 2012.

L’autre grande tendance concerne la personnalisation des interventions, une tendance rendue possible grâce au développement de nouvelles solutions technologiques.

« On n’est plus dans une optique de “one size fits all”. Pour être en mesure d’apporter des changements dans la vie des gens, il faut être capable de leur offrir des outils personnalisés en fonction de leur propre situation, soutient Mme Pelletier. Ça ne donne rien de parler de perte de poids à un employé qui a des difficultés financières ou familiales. »

Mais pour être en mesure de proposer des solutions personnalisées aux employés, il faut récolter et gérer des données, beaucoup de données. En ce sens, les bases de données deviendront bientôt le nerf de la guerre dans le développement de stratégies de promotion de la santé en milieu de travail, prévoit Marie-Claude Pelletier. « Le marché est en train de se structurer pour développer des plateformes capables d’intégrer tous les outils technologiques existants. On ne peut pas offrir des incitatifs personnalisés aux employés si on n’a pas les données nécessaires », poursuit-elle.

Mais malgré toutes ces solutions innovantes, la stratégie américaine se concentre encore majoritairement sur la santé physique (alimentation, exercice, contrôle du poids, tabagisme, etc.) et néglige quelque peu la santé mentale, malgré quelques initiatives naissantes. « Au Canada, on est déjà dans un concept de santé globale, mais ce n’est qu’un début aux États-Unis », indique Mme Pelletier, qui souligne que le Canada est d’ailleurs un leader mondial dans le développement de normes, particulièrement en matière de santé psychologique. Développées par des spécialistes, ces normes sont de précieux modes d’emploi pour les employeurs, croit-elle.

Plusieurs initiatives intéressantes aux États-Unis devraient bientôt arriver ici. Mais pour que celles-ci soient utilisées à leur plein potentiel, bien des entreprises devront entreprendre une profonde réflexion sur leur propre fonctionnement.

« Il doit y avoir une réelle prise de conscience. Les résultats ne seront pas intéressants s’il n’y a pas un changement de culture dans les organisations. Les employeurs doivent être capables de changer leurs pratiques de gestion et leur manière d’agir avec les employés. C’est vers là qu’il faut aller. »