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Le dernier cri dans le domaine de l’aménagement de bureaux est… de ne plus avoir de bureau. Les employés se déplacent plutôt au gré du vent tout au long de leur journée et travaillent où bon leur semble. De nombreuses salles et espaces de travail sont évidemment mis à leur disposition, tout comme des emplacements pour ranger leurs effets personnels.

Bye bye photo de famille
Dans un contexte où le prix du pied carré ne cesse d’augmenter, une telle conception de l’espace permet aux entreprises de diminuer leurs coûts de location en cessant d’allouer une superficie précise à des employés qui ne passent que quelques heures par semaine au bureau. Elle simplifie également la gestion des vagues d’expansion et de compression de personnel.

« En éliminant le poste dédié, on élimine aussi les plantes, les photos de famille et d’autres éléments qui ne sont pas nécessairement pertinents dans un environnement de travail, soutient Vincent Hauspy. L’appropriation des espaces passe par autre chose aujourd’hui. On n’a qu’à penser aux étudiants universitaires qui étudient dans les cafés et les parcs. Les employeurs et les employés recherchent cette même flexibilité dans les espaces de bureaux. »

« Le sentiment d’appartenance naît davantage dans l’ambiance globale et le sentiment de plaisir au travail », ajoute sa collègue Marie-Eve Duval. Les entreprises les plus avant-gardistes offrent d’ailleurs une pléiade de services à leurs employés, tels que des gyms, des salles de massage, un nettoyeur, parfois même le lunch gratuit. « Ces services vont bien plus inciter les employés à rester qu’un poste de travail dédié avec une photo de famille dessus », croit la designer.

Allouer un même poste de travail à deux employés qui ne travaillent pas en même temps est toutefois une pratique à éviter, conseille Steve Vezeau. « Ça devient difficile de personnaliser l’espace, ce qui amènera du désengagement de la part des employés. »

Des changements aussi importants à l’environnement de travail sont également susceptibles de créer des tensions intergénérationnelles. Si les jeunes employés sont généralement plus ouverts à cette conception de l’espace, la pilule risque d’être plus difficile à avaler pour les baby-boomers qui ont vu leur bureau grandir au fil des promotions.

« L’être humain est territorial et attaché à ses habitudes. Les employés avec beaucoup d’ancienneté risquent de voir la perte de leur bureau fermé comme une perte de statut, ce qui peut mener à une perte de productivité. C’est un aspect qu’il ne faut pas sous-estimer », prévient Julie Carignan.

Avant d’envisager le concept d’espace partagé, les employeurs doivent surtout considérer la nature du travail de leurs employés. « Ce concept d’aménagement convient bien à certains emplois, la vie professionnelle d’un consultant qui est souvent sur la route ne requiert pas l’appropriation d’un espace, estime Fabienne Münch. Par contre, il est important que les employés qui occupent des postes plus sédentaires puissent s’approprier leur espace. »

Psychologie de l’aménagement
Les choses seraient tellement plus faciles si un réaménagement de bureau consistait en un simple projet de rénovation. Mais les humains étant ce qu’ils sont, les aspects psychologiques d’un projet de réaménagement ne doivent surtout pas être négligés.

« L’aménagement des espaces de travail a un effet sur le bien-être des employés, c’est scientifiquement prouvé », indique Julie Carignan. Par exemple, l’emplacement des bureaux de la direction peut à lui seul influencer la perception que les employés ont de l’organisation. « S’ils sont situés plus haut ou à l’écart, cela lance un message de hiérarchie et de surveillance. On va créer une meilleure atmosphère de travail en les aménageant en plein cœur des activités », croit Mme Carignan.

Une entreprise qui souhaite lancer un message de convivialité à ses travailleurs peut aussi convertir les bureaux en coin de la direction en un espace commun. « On envoie alors le message que la communauté est importante », explique la psychologue organisationnelle.

Il est cependant très difficile de savoir si l’aménagement des bureaux a un réel effet sur la productivité des employés. « On peut difficilement le démontrer. Même si on parvenait à définir clairement ce qu’est l’efficacité au travail, il y aurait trop de facteurs en jeu », juge Steve Vezeau. Il considère néanmoins qu’un espace de travail bien conçu peut avoir des effets positifs sur le plan de la motivation des effectifs.

Marie-Eve Duval avance même qu’un réaménagement peut permettre « de réinjecter du dynamisme dans une entreprise et de repartir à neuf ».

Pour que ce renouveau soit couronné de succès, les employeurs devraient en revanche envisager d’impliquer leurs employés dans le processus. « Créer des groupes de discussion permet de comprendre les attentes et les besoins des travailleurs. Ça nourrit aussi le sentiment d’appartenance à l’organisation », indique Julie Carignan.

La direction doit de son côté faire preuve de la plus grande transparence, particulièrement au sujet des enjeux financiers. « La réduction des coûts ne devrait pas être la principale raison d’un projet de réaménagement, mais si c’est le cas, il faut le dire aux employés, soutient-elle. Ils ne sont pas fous, ils vont finir par le comprendre et risquent de se sentir lésés. » Aborder la question des coûts peut même être une bonne occasion pour les dirigeants de recadrer les attentes de la main-d’œuvre. « Les employés doivent comprendre que les entreprises ne peuvent pas soutenir les coûts de location d’un bureau fermé au centre-ville s’il est presque toujours vide parce que l’employé fait du télétravail », donne en exemple Mme Carignan.

Montrer l’exemple
Dans le même ordre d’idée, les membres de la direction doivent être les premiers à embrasser le changement de culture qu’ils ont eux-mêmes instigué. Un dirigeant qui installe ses 200 employés dans un vaste espace ouvert, mais qui tient mordicus à conserver son grand bureau en coin perd énormément de crédibilité. « Montrer par l’exemple fait souvent le succès des projets qui fonctionnent », confie Marie-Eve Duval.

Plus généralement, les employeurs ont souvent des attentes irréalistes et une volonté à géométrie variable. « Au début du processus, plusieurs clients veulent un aménagement très novateur, mais une fois à l’étape des plans, ils trouvent le changement trop majeur et reculent », raconte la designer. D’autres considèrent que les concepts d’aménagement trop branchés ne collent pas avec la culture de leur entreprise.

À ce sujet, Steve Vezeau insiste sur l’importance de considérer l’ADN de l’organisation lors d’un projet de réaménagement : « Les attentes ne sont pas les mêmes dans un bureau d’avocats et une agence de publicité. Dans certains cas, un langage formel doit être respecté. »

Ceci dit, les mentalités sont en train de changer à cet égard, particulièrement chez les jeunes employés. Les sofas, tables de billard et consoles de jeux vidéo qui ont fait la renommée des bureaux de la Silicon Valley ont commencé à prendre d’assaut les milieux plus corporatifs, comme les firmes de consultation, les sociétés d’audit et même les institutions financières. « Je pense que toutes les entreprises peuvent faire le saut vers des concepts de bureaux plus contemporains, tout en tenant compte de leurs besoins spécifiques », croit Vincent Hauspy.

Qu’elles aient une culture corporative ou décontractée, les entreprises doivent avant tout baser leur analyse des besoins sur la nature du travail de leurs employés, soutient Steve Vezeau. « Traditionnellement, l’espace de bureau est attribué selon le niveau hiérarchique, et pas selon les besoins des employés. Il y a souvent une méconnaissance de la réalité quotidienne des travailleurs par la direction. »

Les firmes d’architectes utilisant souvent des modèles standard d’aménagement, il revient aux clients de s’assurer que les plans proposés répondent à leurs besoins particuliers. Cela demande évidemment du temps. « Les membres de la direction veulent généralement déménager demain matin, mais s’ils ne font pas correctement leurs devoirs, ils risquent d’emménager dans un espace dysfonctionnel », met en garde Fabienne Münch.

Car en plus de rendre particulièrement pénible la vie quotidienne des employés, un aménagement de bureaux dysfonctionnel risque fort bien de rebuter certains candidats potentiels de se joindre à l’organisation.

« Le lieu de travail est un puissant outil de rétention et d’attraction du personnel. Je dirais même que c’est un facteur critique, soutient Julie Carignan. Quand le candidat se déplace sur les lieux pour passer son entrevue, il se forge déjà sa propre perception de l’organisation. L’aménagement de l’espace de travail en dit long sur la culture de l’entreprise. »

Designer elle-même, Fabienne Münch tient toutefois à relativiser l’effet de l’environnement physique de travail sur les travailleurs. « Ce qui va faire en sorte qu’un employé va rester au sein de l’entreprise ou la quitter, c’est la rémunération et les relations de travail, pas vraiment l’aménagement des espaces de bureaux. »

Comme toujours, l’humain doit donc demeurer au centre des préoccupations. Après tout, ce n’est pas le mobilier qui fait le travail à la place des employés.