Nous voilà arrivée à la croisée des chemins. De toute évidence, nous entrons dans une ère où d’importantes décisions devront être prises. La population terrestre ne cesse d’augmenter et nos ressources naturelles, climatiques et économiques tendent à diminuer au même moment. Par ailleurs, les catastrophes naturelles s’accumulent (tremblements de terre, inondations, sécheresses), les coûts pour s’alimenter et pour l’énergie n’ont jamais été aussi élevés. Devant pareille situation, faudra-t-il attendre que s’abat une crise d’envergure pour réagir?

Sans surprise, nous nions ces faits. Le problème est tellement gros qu’il est plus facile de croire que tout n’est pas si pire qu’il n’en paraît. Combien de temps pouvons nous encore attendre?

Le modèle de croissance axé sur le consommateur est en déroute. Il est grand temps de développer un nouveau modèle économique plus durable. D’une manière ou d’une autre, il est temps d’agir, avant qu’on soit forcé de le faire.

De fait, nous utilisons et gaspillons tellement de nos ressources présentement que nous sommes incapables de réapprovisionner la planète. De fait, nous sommes en train de consommer notre futur puisque nous consommons davantage que notre capacité. L’économie devra se transformer sous peu.

La population en croissance et le réchauffement climatique font grimper les prix des aliments et du pétrole à cause de l’instabilité politique qui règne au Moyen-Orient. Par ailleurs, l’amélioration de la productivité signifie que moins de personnes sont nécessaires dans les usines de production. Donc, si nous voulons créer plus d’emplois, nous aurons besoin de construire plusieurs usines, ce qui par conséquent aura un impact néfaste sur le réchauffement de la planète. Nous entrons donc dans un cercle vicieux.

Les technologies propres ou encore la micro finance
Pour Geoffrey Moore, président, TBC Capital, le placement durable va plus loin que les placements socialement responsables plus reconnus chez les investisseurs; ils nécessitent un besoin de développement. « Il y a de belles opportunités pour les gestionnaires de portefeuilles pour créer de nouveaux produits dans ce domaine dans les prochaines années. Comme le disait récemment, Ronald Cohen, le père du placement privé au Royaume-Uni, les placements durables constituerait La nouvelle classe d’actif. »

« Le rôle premier des caisses de retraite est de respecter leurs responsabilités fiduciaires. Toutefois, inclure des notions d’Impact Investing ne va pas nécessairement à l’encontre de ses responsabilités fiduciaires. Cela peut amener une diversification supplémentaire et un rendement intéressant ajusté au risque » signale-t-il, citant une récente étude de J.P. Morgan et The Rockefeller Foundation.

M. Moore croit que les caisses de retraite s’intéresseront davantage aux placements durables lorsqu’ils auront vu les bons résultats obtenus par les investisseurs individuels plus fortunés et les fondations.

« Si les caisses de retraite n’investissaient qu’un pour cent de leurs actifs dans cette nouvelle classe, nous observerions déjà un impact significatif, affirme M. Moore. C’est bien peu lorsque l’on considère qu’une classe émergente doit avoir une allocation minimale de 5 % du portefeuille. Cela ne viendrait pas sacrifier du rendement et apporterait un élément supplémentaire de diversification dans le portefeuille des caisses, au même titre que les placements en revenu fixe ou en placements alternatifs.»

Un envol déjà amorcé
Les Principes pour l’investissement responsable, mis en place par les Nations Unies en 2006, regroupent pas moins de 850 grands investisseurs institutionnels, dont la Caisse de dépôt et placement du Québec et Teachers. Ces grands investisseurs gèrent collectivement quelque 25 billions de dollars en actifs sous gestion.

« Nous sommes encore tôt dans le processus, mais pour que les placements durables connaissent un envol, il faudra faire de l’éducation auprès des investisseurs et auprès des conseillers en gestion d’actifs, enchaîne M. Moore. Les gestionnaires de portefeuille devront quant à eux développer des produits performants à long terme, en fonction de l’expérience acquise dans ce domaine auprès des investisseurs individuels ou des fondations. Comme les membres de comités de placement ont des responsabilités fiduciaires bien définies, il faudra atteindre un équilibre entre les intérêts économiques et sociaux. »

M. Moore estime que le mouvement prendra du temps, mais il est bel et bien amorcé. Le placement durable est seulement l’une des façons de trouver des solutions durables à la hausse de la croissance, à la création d’emplois ainsi qu’au réapprovisionnement et la préservation de la planète.

Déjà, ce genre de placement retient l’attention de plusieurs hauts dirigeants, notamment à la Maison Blanche, via la Première dame, Michelle Obama. Elle a récemment dévoilé une initiative de financement dans le Fonds FreshWorks (Californie), un fonds de partenariat public-privé de 200 millions de dollars créé afin d’encourager les chaînes d’alimentation à s’installer dans les collectivités défavorisées pour ainsi améliorer l’accès à des aliments sains, à prix abordable.

Une question de réputation et de responsabilité
Pour sa part, le président du Comité exécutif de Dexia Asset Management, Naïm Abou-Jaoudé, croit également que l’ISR restera un axe de développement stratégique pour plusieurs gestionnaires de portefeuilles, les ressources qui y sont déjà allouées en étant la preuve, notamment chez Dexia. « Au cours des dernières années, les investissements socialement responsables ont connu une forte croissance portée par les investisseurs institutionnels qui ont pris le relais des investisseurs privés. Ces investisseurs sont de plus en plus conscients de l’intérêt de combiner performance financière et développement durable. »

Même si la prise en compte du développement durable par les investisseurs institutionnels n’est pas encore généralisée, Dexia AM considère que cette tendance est irréversible et se poursuivra pour une question de réputation et de responsabilité environnementale, sociale et gouvernementale.

« De nombreux experts envisagent à terme une interaction renforcée, appelée intégration, entre les analystes ISR et financiers. Ainsi, il est primordial de s’attacher à identifier les critères ISR qui vont contribuer à la valorisation long terme des entreprises », ajoute M. Abou-Jaoudé.

Patrick Fournell, vice-président chez McLean Budden abonde dans le même sens. En 2000, le gestionnaire de portefeuilles a lancé quatre fonds responsables. Pour ce faire, elle a légèrement modifié quatre portefeuilles déjà offerts sur le marché, soit le fonds équilibrés, les fonds en actions canadiennes et actions mondiales ainsi que le fonds en revenu fixe. Pour créer ses nouveaux portefeuilles, la société procède par exclusion négative de titres selon des critères définis. Par conséquent, le filtre élimine tous les titres liés à l’industrie de l’armement, du jeu, de la pornographie, de l’alcool et du tabac ainsi que des standards d’emplois et certains barèmes en environnement.

« Nos fonds responsables sont particulièrement populaires auprès des participants de régimes CD. Certains assureurs qui offrent nos fonds réguliers ont ajouté nos fonds responsables pour les participants », souligne M. Fournell.

Des critères subjectifs
Sans surprise, les communautés religieuses ainsi que les fondations misent davantage sur ces fonds, mais M. Fournell signale néanmoins que quelques promoteurs, sensibles à ce genre de préoccupation, utilisent également les fonds responsables. « Les fiduciaires des comités de placement de régimes PD se montrent plus réfractaires face aux fonds éthiques, puisqu’ils considèrent que leur rôle premier est de faire des choix de placement judicieux pour obtenir du rendement et ainsi faire croitre l’actif de la caisse de retraite. Il devient périlleux pour eux de juger de qui est acceptable ou non puisqu’ils s’agit de critères très subjectifs », dit-il.

M. Fournell estime néanmoins que la différence de rendement entre les fonds traditionnels et les fonds responsables est extrêmement négligeable. Le processus de sélections des titres et la gestion du risque du portefeuille sont tout à fait comparables. « Nous recevons des demandes d’information des comités de placement à la suite de catastrophes, comme le déversement de pétrole en Louisiane, mais le tout tarde à prendre son envol. Le succès de tels fonds passe par la communication : tous les intervenants, soit les gestionnaires de portefeuille, les assureurs et même les promoteurs de régimes doivent promouvoir davantage de tels fonds pour qu’ils connaissent une hausse de popularité », termine-t-il.

Montréal en avant-plan
La John-Molson School of Business de l’Université Concordia a récemment lancé le premier programme d’agrément professionnel en placements durables (PAPPD) qui s’adresse aux spécialistes de la finance, de l’investissement et des affaires. À la suite d’une formation rigoureuse axée sur la durabilité, ces derniers pourront profiter pleinement de nouvelles occasions de carrière. Il s’agit d’une autre preuve indiquant que Montréal se positionne comme étant une plaque tournante du placement durable.

* Le 5 décembre prochain, ne manquez pas la Conférence So Right So Smart présentée par Eye4Impact qui se tiendra au Théâtre de l’Office national du film. Pour information, allez au eye4impact.org