Les investisseurs ont été mis à rude épreuve depuis trois ans. La crise mondiale du crédit a suscité de graves difficultés économiques et exacerbé la volatilité des cours. Elle a aussi créé, sur les marchés financiers, une forte instabilité qui persiste à ce jour, obligeant les investisseurs à interpréter tant bien que mal les aléas d’une conjoncture en évolution rapide.

Mais si les nouvelles peuvent exercer à court terme une forte influence sur les fluctuations des marchés financiers, ce sont les tendances économiques, boursières et sectorielles mondiales durables qui déterminent les rendements à long terme des placements. L’adoption d’un cadre thématique permettant de dégager ces tendances fondamentales pourra aider l’investisseur à prendre du recul et éclairer ses décisions au cours des prochaines années.

Nous avons discuté de ces différents aspects avec Jeff Munro, directeur des placements chez Newton Investment Management, une division de Bank of New York Mellon Corp., à Londres, qui selon lui méritent d’être considérés.

Le crédit et ses conséquences
En 2007, l’éclatement de la bulle du crédit au sein de plusieurs grandes économies développées a eu de sérieuses répercussions dans de nombreux domaines.

Bien que la crise du crédit soit passée, les consommateurs et les entreprises restent très endettés. « Le système financier mondial subit encore de fortes tensions et la réglementation visant à réduire le risque de crises financières s’alourdit », mentionne M. Munro. « Ces facteurs restreindront très probablement l’offre et la demande de crédit dans le monde développé. »

En dépit du redressement récent de l’activité économique et des marchés financiers, la pénurie de crédit exercera probablement une forte influence sur les économies tirées par la consommation, ainsi que sur toutes les catégories d’actif et sur les stratégies de placement. Ce changement touche une grande variété de domaines connexes, y compris la perspective d’interventions accrues de la part des autorités dans l’économie et les marchés financiers.

M. Munro souligne aussi certaines possibilités d’investissement sur les marchés émergents. « Dans le secteur financier, par exemple, au sein d’une économie jeune et dynamique, les bilans sont généralement plus sains et les possibilités de développement du crédit sont meilleures car l’endettement existant est moins lourd. »

Il est d’avis que l’instabilité des marchés durera encore quelques mois. L’économie a besoin d’être stimulé davantage. Le danger est d’entrer dans un cycle où l’on cesse le recours aux leviers financiers, ce qui n’est pas très profitable pour la croissance économique.

Menace qui plane
Le spectre de l’inflation suscite la menace d’une dépréciation à long terme de la monnaie, en raison surtout de l’ampleur des mesures de relance monétaire et budgétaire adoptées par les autorités mondiales. Pour combattre les effets déflationnistes de la récession mondiale, les gouvernements et les autorités monétaires prennent des décisions sans précédent. Mais la dégradation des systèmes financiers et la tendance soutenue des entreprises et des consommateurs à abaisser leur endettement pourraient continuer de réduire l’efficacité des mesures de stimulation. Les autorités seraient alors tentées de redoubler d’efforts, ce qui accroîtrait le risque d’inflation, surtout si l’amélioration des conditions financières provoque une augmentation du coefficient de multiplication du crédit qui permet à la politique d’une banque centrale d’agir sur les possibilités d’emprunt des entreprises et des particuliers.

« Peu importe le moment auquel ce risque pourra se concrétiser, il semble prudent d’en tenir compte dans l’élaboration des portefeuilles en y incluant une protection contre l’inflation, par exemple des métaux précieux et des obligations indexées.
»

M. Munro est préoccupé par l’inflation qui ne suit pas les salaires, ce qui peut occasionner des problèmes lorsque vient le temps de planifier la retraite. « Les investisseurs devraient favoriser des obligations dont le rendement est lié à l’inflation. Cela protégerait leurs économies contre l’inflation. »

Réalignement mondial
Les pays industrialisés de l’Occident dominent encore la production économique, la richesse, la consommation et la capitalisation boursière mondiales – et ils consomment la part du lion des ressources naturelles. Mais leur primauté est peu à peu remise en question par l’influence économique croissante des pays en développement.

« La façon dont ce réalignement évoluera sera déterminante pour l’avenir à long terme des économies et des marchés mondiaux », dit M. Munro. « Les pays en développement devront, pour leur part, réduire l’ampleur excessive de leurs exportations pour stimuler la demande intérieure. »

Les tendances liées à ce réalignement comprennent, dans les pays en développement, une forte croissance des revenus, l’occidentalisation des préférences des consommateurs et l’importance croissante des pays en développement pour la demande de ressources. Les possibilités d’investissement qui en découlent comprennent les entreprises de biens et de services de consommation et les sociétés des secteurs de la finance, de l’immobilier, de la santé, du voyage et des loisirs. Toutefois, ce réalignement comporte aussi des risques, tels que ceux d’un durcissement des mesures protectionnistes et de bulles de prix sur les marchés émergents.

« Grâce à son système financier solide, la vigueur du dollar canadien ainsi que sa richesse en ressources naturelles, le Canada se trouve en très bonne position », signale M. Munro.

Présence accrue des pouvoirs publics
La présence des pouvoirs publics se manifeste, entre autres, sous la forme d’interventions de l’État dans l’activité économique et financière. Il sera désormais très important de tenir compte de la présence accrue de l’État pour déterminer quels domaines présenteront les meilleures occasions ainsi que les risques de placement.

« Cet interventionnisme, favorisé notamment par l’augmentation stupéfiante des déficits budgétaires et par les soutiens consentis aux banques commerciales, ajoute un élément important d’imprévisibilité aux perspectives des économies et des marchés financiers», souligne M. Munro. «La présence accrue des pouvoirs publics est particulièrement évidente dans le secteur financier, mais importante aussi dans d’autres domaines tels que l’environnement et la santé. Maintenant, ils ne peuvent pratiquement plus revenir en arrière pour se désengager. »

Dans le secteur pétrolier, les interventions des autorités pourraient amener les investisseurs à privilégier les sociétés disposant de réserves abondantes plutôt que celles qui en ont peu (ou ne les contrôlent pas). Les investisseurs préféreront peut-être aussi éviter les entreprises susceptibles d’être exposées à des conflits avec les autorités, puisque la politique joue un rôle croissant dans l’attribution des ressources. Il pourrait aussi être sage d’éviter les participations dans des entreprises concurrençant directement des «champions nationaux ».

Pour les sociétés pharmaceutiques, le coût moyen de la mise au point d’un médicament a augmenté à un rythme de 7,4 % de plus que l’inflation. Cette hausse des coûts est très lourde et explique en partie pourquoi le nombre moyen d’approbations attribuées à de nouveaux médicaments a fortement baissé depuis dix ans.

« Pour un investisseur, le secteur pharmaceutique est attrayant à de nombreux égards, mais compte tenu du ralentissement général du nombre d’approbations de médicaments, il est important de privilégier les sociétés qui pourront innover en dépit d’une réglementation de plus en plus contraignante. »

Perspective des 24 prochains mois
M. Munro estime que les entreprises privées en bonne santé financière doivent investir et dépenser davantage. Pour lui, elles doivent aussi embaucher plus de main-d’oeuvre et prendre davantage de leadership pour que l’économie reprenne son véritable envol.

« Les marchés demeureront très volatils dans la prochaine année ou deux. Un tel environnement pourrait créer des opportunités dans la sélection de certains titres en action, présentement sous-évalués, notamment dans les entreprises d’envergure internationale qui possèdent beaucoup de liquidité », a-t-il terminé.