Grâce aux droits de vote reliés à leurs actifs colossaux, les caisses de retraite ont un pouvoir immense sur la gouvernance des grandes entreprises publiques. Mais cette influence est-elle réelle ou seulement théorique ?

Viser la transparence
La volonté des investisseurs institutionnels de rester sous le radar par crainte de passer pour trop militant ou hors-norme n’est cependant plus aussi forte qu’autrefois.

« Ça ne tient plus aujourd’hui. On observe de plus en plus de transparence dans la façon dont les caisses de retraite gèrent leurs droits de vote. Elles savent qu’il existe un risque économique systémique à ne pas prendre leur rôle d’actionnaire au sérieux », constate Olivier Gamache.

« Beaucoup de caisses de retraite misent sur le fait que les gens ne les interpelleront pas. Mais dans certains cas, ça peut se retourner contre elles », assure pour sa part Daniel Simard.

À lire : Gestionnaires en émergence et caisses de retraite, une alliance gagnante?

D’autant plus que la demande d’une transparence accrue provient de plus en plus des participants, en particulier des jeunes employés qui sont souvent plus sensibles aux questions environnementales et de saine gouvernance des entreprises cotées en Bourse.

Différents organismes, dont les Principes pour l’investissement responsable (PRI), incitent d’ailleurs les participants à questionner le promoteur de leur régime de retraite concernant ses politiques d’investissement responsable et son engagement actionnarial. « L’opacité n’est pas la solution. Les participants devraient avoir facilement accès aux politiques de droit de vote de leur régime de retraite », soutient Normand Caron.

François Meloche plaide quant à lui pour des changements législatifs qui favoriseraient une plus grande transparence chez les investisseurs institutionnels. « Nous sommes en retard sur certains points au Canada. On n’exige pas suffisamment de transparence et de divulgation. Il faudrait obliger les régimes à avoir une politique active de droit de vote », tranche-t-il.

Cette opacité pourrait-elle s’expliquer par un sentiment d’impuissance ? C’est l’avis de Frédéric Belhumeur. « Certains investisseurs se disent qu’ils sont des actionnaires tellement minoritaires qu’ils n’auront aucun impact sur les décisions prises par les entreprises. Dans ce contexte, on peut comprendre les plus petits régimes de ne pas vouloir perdre trop de temps avec ça. L’important est d’avoir confiance que notre gestionnaire va voter selon nos valeurs. »

À lire : Feu vert à l’investissement responsable

Un équilibre difficile à atteindre
Entre prendre au sérieux ses responsabilités d’actionnaire et se lancer dans l’activisme actionnarial, il n’y a parfois qu’un pas. Où commence et s’arrête la responsabilité sociale des investisseurs institutionnels ?

«  L’unique objectif d’une caisse de retraite est de s’assurer que les membres reçoivent leurs bénéfices dans le futur et que le régime demeure pérenne, répond Frédéric Belhumeur. Les valeurs sont importantes, mais le devoir de rendement doit aussi faire partie de l’équation. »

M. Belhumeur évoque par exemple les deux grands objectifs de la Caisse de dépôt et placement du Québec, soit de générer du rendement pour ses déposants et de favoriser la prospérité économique du Québec, qui sont selon lui « très difficiles à marier ». Trouver l’équilibre est donc un exercice plutôt périlleux pour les comités de retraite. « La responsabilité des caisses de retraite est avant tout d’assurer les prestations des bénéficiaires, mais on ne doit pas oublier que ces bénéficiaires sont aussi des citoyens », fait remarquer Olivier Gamache.

François Meloche penche du même côté en affirmant qu’une caisse de retraite devrait idéalement tenir compte de l’intérêt plus global de l’ensemble de la population à long terme. « La limite est difficile à définir, mais il est certain que les investisseurs institutionnels doivent comprendre que la recherche de rendement à court terme cause nécessairement des problèmes à long terme. Certains bénéficiaires ne prendront leur retraite que dans plusieurs décennies. Il faut s’assurer d’être encore en mesure de générer des rendements à ce moment-là. »

Selon Daniel Simard, il est de la responsabilité des caisses de retraite de « s’attaquer aux travers du système » qui nuisent à leurs intérêts. « Beaucoup de comités de retraite ne font que regarder les rendements, mais pas ce qui se cache en dessous de ceux-ci. À mon avis, c’est faire preuve d’aveuglement volontaire. Un jour, ils pataugeront dans les conséquences de cette inaction. »

À lire : ISR : les Québécois veulent plus d’information

Un pouvoir inutilisé
Avec le volume d’actifs qu’ils détiennent, les investisseurs institutionnels ont réellement le pouvoir de changer la gouvernance des entreprises. Normand Caron est en convaincu, même s’il admet que la bataille risque d’être longue.

Certaines victoires lui laissent néanmoins entrevoir une lueur d’espoir. En 2015, la politique de rémunération de la Banque CIBC, jugée trop généreuse, a été contre toute attente rejetée par les actionnaires. Un véritable succès pour le MÉDAC qui avait réussi à rallier à sa cause de grands investisseurs institutionnels, tels que la Caisse de dépôt, Teachers, OMERS et l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada.

« Mobiliser quelques gros joueurs peut faire changer les choses. Les entreprises ne peuvent pas faire la sourde oreille quand de grands investisseurs institutionnels commencent à poser des questions sur leur gouvernance », soutient M. Caron.

« Si tous les investisseurs institutionnels faisaient leur part, on serait beaucoup plus forts, on nous écouterait davantage, ajoute Daniel Simard. Nous avons un grand pouvoir entre nos mains, mais il est malheureusement trop souvent inutilisé. »

Cet article est tiré de l’édition de juin 2016 du magazine Avantages. Il peut être téléchargé en format pdf en cliquant ici.

<<<< Retour à la première partie