De gauche à droite: Benoît Durocher (Addenda Capital), Jean Boivin (BlackRock) et Jimmy Jean (Desjardins)/ Crédit: CFA Montréal

La baisse des taux d’intérêt attendue en 2024 pourrait être plus lente et moins marquée que celle anticipée par les marchés en raison d’un potentiel rebond de l’inflation en milieu d’année, estime Jean Boivin, directeur général du BlackRock Investment Institute.

« Alors que les grandes tendances économiques ont traditionnellement été déterminées par la demande, elles dépendent aujourd’hui de la capacité de production, et celle-ci fait face à plusieurs contraintes, notamment démographiques et géopolitiques, a affirmé l’économiste lors d’un événement organisé par CFA Montréal la semaine dernière. Comme il coûte aujourd’hui plus cher de produire, nous ferons face à des pressions inflationnistes persistantes. »

M. Boivin anticipe que la première moitié de 2024 se poursuivra comme 2023 s’est terminée, c’est-à-dire avec optimiste quant au contrôle de l’inflation et, conséquemment, des marchés à la hausse. « L’inflation redescendra à 2 % et les banques centrales vont crier victoire, ce qui va continuer d’insuffler de l’optimisme sur les marchés. Il y aura beaucoup de place pour un emballement », croit-il.

En revanche, l’inflation ne restera pas à 2 % et rebondira en cours d’année, quand l’effet déflationniste sur le prix des biens sera complètement intégré et que l’inflation plus élevée sur le prix des services sera révélée, souligne l’économiste. « Pour que l’inflation dans le secteur des services diminue, il faudra une modération des hausses salariales autour de 2,5 %, alors qu’elles se situent encore à 4 ou 5 % aux États-Unis. »

Jean Boivin table sur trois baisses de taux de la Réserve fédérale américaine, alors que les marchés en anticipent plutôt cinq ou six. Ce « décalage entre le consensus économique et la réalité », soutient l’économiste, requerra des investisseurs qu’ils adoptent une approche de gestion d’actif « différente et plus flexible » ainsi que des remaniements de portefeuilles plus fréquents.

Le début d’année continuera d’être favorable aux actions des pays développés, mais le rebond de l’inflation en milieu d’année pourrait refroidir les marchés boursiers. Selon M. Boivin, les investisseurs devront donc faire preuve d’agilité dans leur répartition d’actif et être prêts à opérer un rapide changement de cap lorsque cela s’avérera nécessaire. Mais dans l’ensemble, il prévient les investisseurs qu’ils ne doivent pas s’attendre à « un trop grand vent arrière qui poussera les rendements à la hausse cette année. »

Mises à part les actions japonaises, pour lesquelles BlackRock se montre très positif, les occasions de rendements ne se concentreront pas nécessairement dans des catégories d’actifs ou des régions en particulier, souligne Jean Boivin. Il entrevoit néanmoins certaines occasions dans le secteur de la dette privée, étant donné que « le crédit servant à financer l’économie mondiale proviendra moins des banques à l’avenir ».

Le Canada plus à risque de récession que les États-Unis

Invité à se prononcer lors du même événement, l’économiste en chef du Mouvement Desjardins, Jimmy Jean, continue pour sa part d’anticiper un assouplissement rapide de la politique monétaire.

Selon les prévisions de l’institution financière, la Banque du Canada abaissera six fois son taux directeur en 2024, et cinq autres baisses suivront en 2025. Un cycle baissier qui pourrait s’amorcer en avril au pays, alors que les États-Unis enclencheront le mouvement vraisemblablement un peu plus tard au cours de l’année. Une prévision agressive ? « La Banque du Canada ne dispose pas de la marge de manœuvre pour trop attendre, insiste M. Jean. Le risque, si on ne réduit pas assez rapidement le taux directeur, est de provoquer une récession plus importante. »

Car s’il semble dorénavant assez clair que les États-Unis échapperont à une récession en 2024, la situation est plus complexe au Canada, juge l’économiste. Le PIB canadien s’est en effet contracté au troisième trimestre de 2023, tandis que la stagnation des dépenses de consommation de ce côté-ci de la frontière jumelée à un taux d’épargne supérieur à ce qu’il était avant la pandémie, contrairement aux États-Unis, laisse présager une moins grande confiance des consommateurs.

« Plus de secteurs d’activité sont actuellement en contraction qu’en expansion, une situation qui mène généralement à une récession », note aussi Jimmy Jean. Un plus grand nombre de faillites d’entreprises est à prévoir cette année, poursuit-il, ce qui entraînera une hausse du taux de chômage, qui à son tour, réduira la pression sur les hausses salariales. Déjà, la pénurie de main-d’œuvre s’est estompée, le nombre de postes vacants au pays étant revenu à son niveau prépandémique. Hormis dans le secteur du logement, M. Jean estime donc que la désinflation sera appelée à se poursuivre cette année.

En fait, c’est la forte croissance démographique canadienne, portée par l’immigration, qui a permis au Canada d’échapper à la récession jusqu’à maintenant, avance-t-il, en ajoutant que l’économie canadienne demeure moins productive et concurrentielle que celle de nos voisins du sud. Le resserrement annoncé concernant l’admission d’immigrants temporaires représentera un autre vent de face.

« Le problème, c’est que les immigrants sont sous-représentés dans certains secteurs en manque de travailleurs, comme la construction, explique l’économiste. Cela entretient la perception selon laquelle l’immigration crée plus de demande que d’offre. Réduire les seuils d’immigration ne réglera pas le problème de base, qui en est un d’arrimage. »