Nul besoin de remonter très loin dans le temps pour découvrir quand et comment l’industrie des régimes de retraite a changé. Il y a 15 ans à peine, la gestion des régimes de retraite semblait être une entreprise beaucoup plus facile : des rendements élevés et fiables sur les titres à revenu fixe et des rendements supérieurs à 10 % sur les actions étaient la norme, et on croyait que cette situation perdurerait sans doute encore pendant quelque temps.

Mais bien qu’il n’ait que 14 ans, le 21e siècle a vu l’industrie des régimes de retraite traverser deux périodes très difficiles, les deux étant survenues en moins d’une décennie : l’éclatement de la bulle Internet de 2000-2002 et la crise financière de 2008. Dans les deux cas, les ratios de solvabilité des régimes de retraite à prestations déterminées (PD) ont connu une baisse abrupte. Le principal facteur déterminant était la volatilité – non seulement de l’actif, mais de l’actif par rapport au passif. En 2008, les régimes de retraite ont accusé des pertes attribuables à des changements qui ont touché à la fois les composantes de l’actif et du passif, car la baisse des taux d’intérêt a augmenté la valeur du passif, tandis que les rendements négatifs sur la plupart des catégories d’actif (à l’exception des obligations) ont aggravé le problème.

Tandis que l’effondrement des dot-coms et la crise financière mondiale ont clairement été des événements importants, ils n’ont en quelque sorte été que des signes de ponctuation dans le nouveau scénario de solvabilité des régimes de retraite du 21e siècle. Le tableau ci-dessous montre le ratio de solvabilité médian de l’univers des régimes de retraite d’Aon Hewitt entre décembre 2002 et mai 2013. Le ratio a affiché une volatilité considérable, tant en raison de changements dans les taux d’intérêt (qui ont eu une incidence sur la valeur de l’actif et du passif) qu’en raison de la volatilité des rendements sur les actions et les éléments d’actifs semblables. En 2013, la situation était l’inverse de ce qu’elle avait été en 2000-2002 et en 2008; les taux d’intérêt ont augmenté (réduisant la valeur du passif) et les actions et les éléments d’actif semblables ont affiché des rendements élevés, améliorant ainsi de façon considérable les ratios de solvabilité de la plupart des régimes.

Ratio de solvabilité médian des régimes de retraite et pourcentage de régimes affichant un déficit de solvabilité

Le tableau illustre le fait que la volatilité est désormais la norme pour l’industrie des régimes de retraite. Et cette nouvelle norme laisse croire que les promoteurs de régime et les gestionnaires de portefeuille doivent changer leur façon de penser. Il est devenu nécessaire d’élaborer une politique de composition de l’actif fondée sur la volatilité de l’actif par rapport au passif (contrairement à une politique fondée sur l’actif seulement) et d’adopter un cadre de gouvernance dans lequel il est possible de suivre les changements qui surviennent dans la santé financière des régimes et de prendre les mesures qui s’imposent. Pour améliorer à la fois la gestion de la gouvernance et du risque, nous proposons une approche fondée sur trois piliers : l’étude actif-passif, les catégories d’actif non traditionnelles, et une meilleure gouvernance grâce à une surveillance active.

Pilier 1 – L’étude actif-passif

Pour de nombreux régimes, le risque a longtemps été défini comme étant le risque que le gestionnaire d’actif ne franchisse pas des étapes établies qui procureraient une valeur ajoutée. La définition reposait sur l’hypothèse voulant qu’une composition 60/40 de l’actif soit appropriée à long terme. Pourtant, la volatilité observée au cours de la dernière décennie démontre clairement que le risque associé au gestionnaire ne constitue qu’une infime partie du risque total lié à un régime de retraite. En fait, les données empiriques indiquent qu’il pèse pour moins de 10 % dans le risque total associé au régime, tandis que la majorité du risque découle de la composition de l’actif par rapport au passif.

L’étude actif-passif est la démarche privilégiée pour mesurer le risque, puisqu’elle permet de jauger le risque de l’actif par rapport au passif pour un régime en particulier. Elle fournit également une estimation de la volatilité du risque de financement, laquelle est directement liée à la volatilité de la situation financière du régime.

L’étude actif-passif prévoit l’examen de différents scénarios afin de déterminer l’ampleur du risque que comporte une variété de portefeuilles renfermant différents éléments d’actif. Deux stratégies distinctes peuvent être utilisées pour créer ces scénarios : la première est la méthode « déterministe », alors que la seconde est « stochastique ». Pour la stratégie déterministe, des scénarios donnés fixes sont utilisés. Un rendement négatif du marché boursier combiné à une baisse des taux pourrait en être un exemple. Ces scénarios sont prédéterminés et sont conçus pour être utilisés comme test de tension afin d’établir quel sera le risque de perte dans des scénarios défavorables. Pour la démarche stochastique, 1 000 scénarios sont générés au hasard pour chaque catégorie d’actif, puis ces résultats sont appliqués tant à la composition actuelle de l’actif qu’à la composition proposée. Les hypothèses risque/rendement pour chaque catégorie d’actif sont calculées sur une période de 10 ans à l’aide d’estimations fondées sur des projections historiques et prévisionnelles. Le résultat est une comparaison du risque prévu et du rendement prévu pour le portefeuille actuel et le portefeuille proposé. Cette stratégie fournit non seulement un éventail de résultats possibles, mais aussi une quantification de la probabilité de chacun.

Nous recommandons la combinaison du meilleur des deux stratégies. Une approche stochastique est utilisée pour générer les scénarios, puis les pires 5 % parmi les résultats sont utilisés comme test de tension pour les portefeuilles d’actif. Les résultats démontrent les niveaux de risque lié au rendement prévu par rapport au passif dans les pires scénarios. Chaque portefeuille est optimisé afin de veiller à ce qu’il représente le meilleur compromis risque/rendement. De cette manière, l’étude actif-passif fournit une approche quantitative qui pourra servir à déterminer quelle est la composition d’actif appropriée compte tenu de la tolérance au risque du promoteur du régime et du passif du régime.

Pilier 2 – Catégories d’actif non traditionnelles

Les données empiriques indiquent que la diversification a un effet bénéfique sur le compromis risque/rendement. La diversification ne se limite pas uniquement à celle qui découle de la composition de l’actif; elle comprend aussi la diversification des styles, qui survient lorsque plus d’un gestionnaire est affecté à une même catégorie d’actif.

Motivés par le désir de réduire la volatilité et/ou d’augmenter les rendements, de nombreux gestionnaires de régimes ont misé sur une plus grande diversification. Les placements ont été notamment répartis dans des catégories d’actif non traditionnelles comme l’immobilier, les infrastructures, les fonds de placements privés, les obligations mondiales, les obligations à rendement élevé, l’agriculture et la foresterie. Les régimes de retraite ont également été diversifiés par région géographique, ce qui augmente leur répartition dans les actions étrangères comme celles des États-Unis, de l’EAEO (Europe, Australasie et Extrême-Orient) et des marchés émergents. La diversification par style de gestionnaire a par ailleurs continué d’être rehaussée et on a maintenant recours aux titres de sociétés à petite et à moyenne capitalisation, aux fonds de couverture, ainsi qu’aux stratégies de rendement absolu et aux actions à faible volatilité. Certaines de ces catégories d’actif sont moins liquides, un fait qui doit être pris en considération lors de la conception globale du portefeuille.

Les catégories d’actif telles que l’immobilier et les infrastructures réagissent différemment des actions et des titres à revenu fixe à l’évolution des facteurs macroéconomiques tels les taux d’intérêt, la croissance et l’inflation. Par conséquent, les rendements de ces catégories d’actif sont moins corrélés avec les actions traditionnelles et les titres à revenu fixe, donc leur inclusion contribue positivement aux portefeuilles traditionnels. De plus, ces catégories d’actif fournissent des outils supplémentaires pour la constitution de portefeuilles qui réagissent différemment aux changements dans les données fondamentales macroéconomiques, tels des rendements plus élevés en périodes d’inflation imprévue. À ce stade, nous sommes d’avis que les infrastructures et l’immobilier continuent d’améliorer le profil risque/rendement des portefeuilles traditionnels. Bien que l’immobilier canadien fournisse une prime de rendement attrayante lorsqu’on la compare aux rendements des titres à revenu fixe, certaines stratégies étrangères sont encore plus attrayantes.

Pilier 3 – Meilleure gouvernance grâce à une surveillance active

Les gestionnaires de la plupart des régimes de retraite prennent conscience de la santé financière des régimes seulement lorsqu’une évaluation actuarielle est effectuée. À ce stade, l’actif et le passif sont évalués, et le résultat est soit un excédent, soit une situation déficitaire. Une évaluation actuarielle est effectuée au moins une fois par année ou une fois tous les trois ans, selon que le régime présentait un déficit ou un surplus lors de la dernière évaluation.

Du point de vue de la gestion du risque, la pertinence de l’évaluation actuarielle est restreinte, car les chiffres présentés sont historiques et ne peuvent donner lieu à des mesures. Les gains qu’il y avait peut-être eus à la date de l’évaluation n’existeront probablement plus lorsque l’évaluation sera terminée. De plus, le promoteur du régime n’aura aucune indication de changements possibles dans la santé financière du régime dans le futur.

Pour favoriser une meilleure gestion de la gouvernance et du risque, l’établissement en temps réel de rapports sur la santé financière du régime de retraite est nécessaire. Grâce à l’établissement en temps réel des rapports, le promoteur du régime peut tirer profit des changements dans la santé financière du régime afin de réduire ou d’augmenter le niveau de risque. De plus, le promoteur peut élaborer à l’avance un plan de gestion du risque. De nombreux gestionnaires de régimes de retraite optent pour la consultation active et délèguent la surveillance afin qu’elle se fasse fréquemment (allant jusqu’à la surveillance quotidienne), ainsi que la capacité d’effectuer des changements aux catégories d’actif prédéterminées en temps réel (c.-à-d., appliquer un plan de gestion du risque).

Un plan typique de gestion du risque indique les changements dans la composition de l’actif du régime qui dépendent des changements dans la santé financière du régime. Cette stratégie, appelée stratégie de répartition dynamique de l’actif, permet dans bien des cas à un promoteur de modifier le profil de risque d’un régime de retraite en temps utile et de manière efficiente. La stratégie décrit des changements précis qui surviennent dans la pondération des catégories d’actif lorsque certains points de déclenchement sont rencontrés, ceux-ci étant habituellement fondés sur la capitalisation du régime. De cette manière, le gestionnaire du régime de retraite peut gérer activement le risque, la plupart des régimes visant à réduire le risque à mesure que le ratio financier s’améliore.

La délégation de la surveillance de la santé financière d’un régime offre également l’avantage de pouvoir s’accompagner d’un mandat d’exécution rapide des changements, c’est-à-dire, sans devoir obtenir l’approbation des fiduciaires. Cette stratégie permet d’améliorer la rapidité d’exécution et de tenir compte de la volatilité désormais inhérente aux marchés financiers.

Et finalement, la surveillance régulière permet non seulement la gestion active du risque, elle améliore aussi considérablement la gouvernance du régime, car les principaux catalyseurs de la santé d’un régime de retraite ont été identifiés, ils sont activement gérés et sont communiqués aux fiduciaires afin de confirmer les résultats de la stratégie. Selon cette méthode, la surveillance quotidienne et en temps réel de la santé financière du régime s’ajoute aux dates prévues pour les évaluations actuarielles.

En cette nouvelle ère de la volatilité, il n’y a pas de recette secrète que les promoteurs de régime peuvent suivre pour gérer le risque tout en engrangeant des rendements satisfaisants. Mais il y a des pratiques exemplaires. Nos trois piliers fournissent une approche réceptive diversifiée et fondée sur les connaissances qui devrait mener à une amélioration des résultats du régime de retraite et à une meilleure gouvernance du régime – des attributs clés dont tout régime de retraite robuste pourra tirer profit dans un monde où, semble-t-il, tout peut arriver.

Conclusions

La volatilité des marchés a donné lieu à des changements considérables et rapides dans la santé financière des régimes PD. Malheureusement, beaucoup de régimes n’ont pas mis en place un mécanisme permettant de surveiller adéquatement cette volatilité.

Nous préconisons l’adoption d’une stratégie à trois piliers afin d’améliorer tant la gouvernance que la gestion de cette volatilité. La gestion de la gouvernance et du risque peut être grandement améliorée en effectuant dès le départ une étude actif-passif pour analyser le risque lié au régime, en optant pour la consultation active et en utilisant un plan prédéterminé (plan de vol) pour gérer le risque.

La surveillance régulière et continue de la santé financière du régime, ajoutée aux évaluations actuarielles, est recommandée pour tous les régimes (non seulement ceux qui optent pour la consultation active) afin d’assurer une gestion adéquate de la gouvernance et du risque.

L’inclusion des catégories d’actif non traditionnelles devrait également être envisagée pour les régimes, car une diversification accrue s’est révélée bénéfique pour la réduction de la volatilité et/ou l’augmentation des rendements.

Robert Laughton est associé, Conseils en gestion de placement, au bureau de Montréal d’Aon Hewitt.