Avec peu d’actif sous gestion et un maigre historique de performance, les petits gestionnaires de fonds ont de la difficulté à convaincre les investisseurs institutionnels de leur confier leur argent. Mais en négligeant les gestionnaires en émergence, les caisses de retraite passent souvent à côté de nombreux bénéfices.

Gestion d’actifs Stanton peut témoigner de la difficulté de percer le marché institutionnel. Depuis 2011, la firme montréalaise, qui a néanmoins un actif sous gestion de plus de 800 millions de dollars, tente de développer ce marché, mais se bute aux nombreuses réticences des caisses de retraite. « On nous demande toujours si on a un client institutionnel. Personne ne veut être le premier à investir », explique Rocio Gueto, vice-présidente, Développement corporatif et solutions d’investissements chez Stanton. La firme se spécialise notamment dans les stratégies de crédit, les obligations de sociétés canadiennes et les prêts bancaires.

Carl Wiseman, conseiller principal en investissement chez Towers Watson, connaît bien les difficultés que vivent les gestionnaires en émergence qui sont à la recherche de leur premier client institutionnel. « Le problème majeur pour les clients est évidemment l’absence d’historique. Ils veulent aussi voir de l’actif. Les caisses de retraite ne veulent pas représenter 10 % de l’actif total de la firme », explique-t-il.

« Pour certains clients, c’est hors de question d’investir dans une stratégie qui n’a pas au moins quatre ans d’historique », affirme pour sa part Christian Gagnon, conseiller en investissement chez Eckler. « À ce moment-là, ça devient une question philosophique. Théoriquement, une caisse de retraite devrait être capable d’avoir une certaine confiance dans la stratégie mise de l’avant par un gestionnaire de fonds avant même de regarder la performance historique. »

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Face aux difficultés rencontrées par les gestionnaires en démarrage, ainsi que pour favoriser l’entrepreneuriat financier, la communauté financière montréalaise a mis sur pied en 2015 le Programme des gestionnaires en émergence du Québec.

« Depuis qu’on a été sélectionné dans le cadre du programme, on sent que la réaction des investisseurs est différente. La confiance est plus élevée. On est passé de rencontres de courtoisie à des rencontres où l’on parle vraiment de stratégies », soutient Rocio Gueto.

Émergents, mais expérimentés
« Contrairement à l’idée que se font certains investisseurs, les gens qui lancent leur propre firme de gestion d’actifs ont souvent beaucoup d’expérience, parfois davantage que la moyenne des employés dans les grandes firmes. Ce n’est pas pour rien qu’ils se lancent en affaires ! », assure Jacques Lussier, président et chef des placements chez Ipsol Capital, une autre firme sélectionnée dans le cadre du Programme des gestionnaires en émergence. Fondé il y a environ trois ans, Ipsol Capital a aujourd’hui un actif sous gestion de 220 M$.

En l’absence d’historique de performance convainquant, l’expérience de l’équipe en place peut effectivement permettre de rassurer les investisseurs potentiels. « Quand les gens ont de l’expérience, ça apporte de la crédibilité. Même si la stratégie est nouvelle, ces gens-là ont géré de l’argent ailleurs, selon différents processus et différentes philosophies. Ça peut amener une certaine confiance dans le produit », estime Christian Gagnon.

Petits gestionnaires, gros rendements ?
Les caisses de retraite qui craignent d’obtenir des rendements inférieurs en confiant un mandat à un gestionnaire en émergence devraient peut-être remettre en question leurs idées préconçues. Une étude de Northern Trust réalisée aux États-Unis a conclu que les petits gestionnaires surperformaient aussi souvent que les grandes firmes dans un contexte de marchés haussiers, mais qu’ils réalisaient généralement de meilleurs rendements lorsque les marchés sont à la baisse.

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Cela s’expliquerait notamment par le fait que les petits gestionnaires ont des stratégies plus spécialisées et un plus grand appétit pour le risque. Très soucieux de conserver leur clientèle, les grands gestionnaires auraient pour leur part tendance à ne pas trop s’éloigner des indices de référence.

« Les gestionnaires émergents sont souvent moins frileux et moins sujets à certains biais commerciaux que les gros joueurs qui sont plus prudents. Ils ont plus à perdre que les petites firmes, qui sont également plus flexibles sur les frais de gestion », confirme Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).

Leur structure organisationnelle moins lourde représente également un net avantage dans un contexte de marchés qui évoluent à ultra haute vitesse. « Notre équipe plus petite nous permet d’avoir un processus décisionnel plus rapide, quoique tout de même rigoureux », estime Connor O’Brien, président et chef des placements chez Gestion d’actifs Stanton. « On a davantage de flexibilité pour faire face aux soubresauts du marché que les gros joueurs qui ont des processus plus rigides. »

« La taille plus réduite des actifs des petits gestionnaires leur permet souvent de faire des choses que les grands ne peuvent pas se permettre », ajoute Carl Wiseman.

Gestion locale
La valeur ajoutée des gestionnaires en émergence ne se limite cependant pas à la seule question du rendement.

Pour René Delsanne, professeur retraité de l’UQAM et consultant en régimes de retraite, la proximité est un atout majeur des petits gestionnaires. « C’est très avantageux d’embaucher un gestionnaire local plutôt qu’un gestionnaire étranger. Quand on fait affaire avec une firme à l’autre bout du monde, on ne sait pas vraiment ce qui se passe, tandis que lorsque l’on confie un mandat à un gestionnaire montréalais, on a une meilleure connaissance des gens, des mouvements de personnel et de l’évolution de la situation », mentionne-t-il.

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Proximité est aussi souvent synonyme de services plus personnalisés dans l’industrie de la gestion d’actifs. « Par expérience, je sais qu’un gestionnaire local peut offrir beaucoup de services en plus des services traditionnels de gestion de portefeuille. Demandez et vous recevrez ! », conseille M. Delsanne.

Chez Ipsol Capital, on a d’ailleurs compris la valeur ajoutée d’une telle approche du service à la clientèle. « Comme on a moins de clients, ceux-ci deviennent des partenaires. On s’intéresse à leurs problématiques, on élabore des documents de recherche et on fait parfois des recommandations, même si on n’offre pas de produits dans les créneaux étudiés », explique Jacques Lussier.

« Pour nous, chaque client est bien plus important que pour les gros gestionnaires. On fait davantage de suivi et on est en mesure d’offrir un service plus personnalisé », affirme de son côté Andrey Omelchak, président et directeur des investissements chez LionGuard Gestion de capital, qui fait également partie du Programme des gestionnaires en émergence. Fondée en 2014, la firme se spécialise dans les petites et moyennes capitalisations et adopte une approche fondamentale traditionnelle axée sur les recherches détaillées.

Lentement mais sûrement
Si un gestionnaire de fonds n’a pas encore fait ses preuves dans le marché institutionnel, vaut quand même mieux ne pas lui confier la moitié de sa caisse de retraite dès le départ. « L’idée c’est d’y aller graduellement, le temps de bâtir un historique de placement et un lien de confiance », conseille Christian Gagnon.

« On peut commencer par confier 3 ou 4 % de l’actif, quitte à augmenter graduellement si on est satisfait du gestionnaire », recommande pour sa part Michel Nadeau. Jacques Lussier va même plus bas : « Ce peut-être aussi peu qu’un demi pour cent. Pour les grandes caisses de retraite, ce n’est pas grand-chose, mais c’est majeur pour des gestionnaires en démarrage », note-t-il.

Car il est vrai que les grandes caisses de retraite et leur actif colossal sont en meilleure position pour envisager de confier un mandat à une firme en émergence. « Ce sont généralement de très gros joueurs qui vont permettre aux petites firmes de se bâtir un historique. Ils peuvent se le permettre davantage parce que pour eux, un placement de cinq millions de dollars c’est une goutte d’eau dans l’univers. C’est par contre plus difficile pour les petits clients. Mettre 500 000 $ ce n’est pas suffisant pour justifier le fait d’engager un nouveau gestionnaire qui va requérir des processus de gouvernance supplémentaires », explique Christian Gagnon.

Si elles sont mieux placées pour soutenir les petites firmes, les grandes caisses de retraite ne sont pas pour autant nombreuses à sauter le pas. « C’est malheureux de constater que les grandes caisses sont réticentes à investir une petite partie de leur actif chez des firmes émergentes. Si eux ne le font pas, ce ne sont certainement pas les petites caisses qui le feront », se désole d’ailleurs Jacques Lussier.

Les grands fonds de retraite ont-ils une responsabilité sociale d’encourager les petits gestionnaires québécois ? Ça, c’est un tout autre débat.

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Cet article est tiré de l’édition de décembre 2015 du magazine Avantages. Pour le télécharger en format pdf, cliquez ici.