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Selon les lois et ententes en vigueur actuellement, le Québec bénéficiera automatiquement de la réduction des prix décrétée par le gouvernement de l’Ontario.

Quelle sera l’économie réelle et est-ce que tous en profiteront également sont deux questions pertinentes à analyser. Afin de faciliter la compréhension, nous avons identifié dans ce texte le prix de la molécule, c’est-à-dire le prix vendu par le manufacturier au grossiste ou à la pharmacie par prix-m, le prix vendu par le pharmacien à son client du privé par prix-c et à celui de la RAMQ par prix-r. Résumons tout d’abord succinctement les changements  :

Le prix-m d’un médicament générique sera égal à 25 % du prix du médicament novateur et cela tant pour la portion privée que publique du RGAM (pour le privé en Ontario, la baisse sera graduelle jusqu’en 2013, mais ceci n’affecte pas le Québec). Il y a un bon nombre d’exceptions (médicaments sur le marché depuis plus de cinq ans, médicaments dont le prix du novateur a été réduit à celui du générique, etc.) et la mise en place sera graduelle sur quelques mois. On peut anticiper que le tout sera en place au début 2011.

Les ristournes accordées par les fabricants de produits génériques aux pharmaciens ne seront plus permises en Ontario (pour le privé en Ontario, la baisse sera graduelle jusqu’en 2013, mais ceci n’affecte pas le Québec). Au Québec, au moment d’écrire cet article, le ministre de la Santé ne semblait pas vouloir aller dans cette direction.

Selon les chiffres disponibles, les médicaments génériques représentent présentement environ 20 % des dépenses, tant au public qu’au privé au Québec. Le prix-m d’un médicament générique est en moyenne légèrement supérieur à 50 % du prix-m du médicament novateur qu’il remplace. À partir de ces informations, nous avons calculé que la baisse du prix-m des médicaments génériques devrait, en théorie, se traduire par une baisse du coût des régimes de médicaments de l’ordre de 5 % et de celui des régimes de soins de santé de 3 % à 5 %, selon les autres protections offertes par les régimes.

Pour la portion publique du RGAM, l’économie serait donc d’environ 5 % pour le gouvernement à moins que celui-ci ne décide de compenser les fabricants ou les pharmaciens pour la baisse de revenus. Nous avons tous pu lire dans les journaux les récriminations de ces deux acteurs principaux mais, pour le simple citoyen, il serait sans doute très difficile de comprendre quelque allègement que ce soit accordé par le gouvernement étant donné l’excellente santé financière de ces derniers. D’ailleurs, Manon Lambert, la directrice générale de l’Ordre des pharmaciens du Québec devrait sans doute être du même avis car selon elle : « Lorsque des décisions de soutien économique font en sorte qu’on vienne mêler toutes les cartes dans l’exercice des professions, c’est là qu’on a un problème. »

Pour le secteur privé, le résultat final est beaucoup plus difficile à estimer car autant les fabricants que les pharmaciens tenteront de minimiser les effets de la baisse de prix ou plus précisément de leurs profits.

En Ontario, la baisse de prix-m subie par les fabricants est compensée en bonne partie par le fait que ces derniers n’auront plus à donner de ristournes aux pharmaciens; ce n’est pas le cas au Québec, mais on peut penser qu’ils tenteront de réduire ces ristournes pour minimiser la baisse de leurs revenus. À combien se situera l’équilibre final 5 %, 10 % ou 15 %, difficile à estimer.

Les pharmaciens voudront sans doute compenser leur perte de profits par des hausses de prix-c en majorant les marges ou les honoraires professionnels qui de toute façon ne sont pas divulgués au Québec. Donc, si les pertes de marge et de ristourne, qui sont toutes deux basées sur le prix-m, ajoutées à une possible réduction du taux de ristourne, représentent Y % des ventes des pharmacies au secteur privé, on peut s’attendre à ce que les prix-c demandés aux clients du secteur privé soient majorés de l’ordre de Y %. De plus, si le gouvernement ne compense aucunement les pharmaciens pour la perte de revenu subie au niveau du secteur public, on peut anticiper une hausse supplémentaire des marges chargées au secteur privé. Comme la portion publique du commerce des médicaments au Québec représente environ les deux tires des ventes totales, on pourrait voir un ajustement de plus de deux fois le Y % pour les clients du secteur privé.

Il est très difficile présentement au Québec pour le secteur privé de contester et limiter ces hausses qui seront décrétées par les pharmaciens. En effet, il n’y a pas d’organisme représentant l’ensemble des intervenants, alors que, d’une part, les pharmaciens propriétaires sont représentés par un syndicat (AQPP) et, d’autre part, la loi sur l’assurance médicaments oblige les assureurs à couvrir tous les médicaments sur la liste de la RAMQ sans avoir de véritable levier de négociation sur les prix (alors que le gouvernement négocie directement les marges et honoraires professionnels des pharmaciens pour la portion publique du régime).

Ce changement majeur touchant le commerce des médicaments au Québec soulève la pertinence de modifications qui seraient nécessaires à la loi sur l’assurance médicaments. Même si en principe l’assurance médicaments offerte par le secteur privé est soumise au marché de la libre concurrence, dans la réalité ce marché est faussé. Comme le disait dans La Presse, en 2008, le directeur général de l’AQPP, M. Normand Cadieux, les pharmaciens font du commerce de détail et donc les transactions financières sont essentiellement du même ordre que celles que l’on retrouve chez un quincaillier ou un épicier sauf que les ventes de ces derniers ne sont pas remboursables par une assurance et, qui plus est, dont plusieurs paramètres sont décrétés par une tierce partie. Si les principes généraux du régime québécois d’assurance médicaments sont excellents, the devil is in the details comme disent les anglo-saxons. En effet, les payeurs, peu importe comment on les définit, ont peu à dire sur de grands pans de la structure du RGAM.

Une façon simple de rétablir l’équilibre serait la possibilité pour un assureur privé de rembourser le coût des médicaments au prix-r de la RAMQ sans que l’excédent demandé par le pharmacien ne soit tenu en compte pour le calcul des paramètres du régime général. Ainsi, la concurrence pourrait jouer beaucoup mieux son rôle car le patient à qui le pharmacien demanderait un supplément qu’il devrait lui-même payer en totalité, serait beaucoup plus en mesure d’apprécier la plus-value des services que lui offre son pharmacien. Dans un marché de libre concurrence, il est tout à fait normal que les prix demandés puissent varier d’un commerçant à l’autre; ce qui n’est pas normal et qu’il faut corriger, c’est que l’acheteur ne soit pas au courant de ces variations, mais surtout qu’il n’ait pas d’intérêt à négocier puisque qu’il n’est pas le payeur véritable et que ce dernier, de toute façon, ne peut exercer un réel pouvoir de négociation. Rien n’empêcherait un preneur qui voudrait offrir un régime plus généreux de rembourser ces excédents, mais ceci serait le choix du preneur, c’est-à-dire du réel payeur. Si le gouvernement du Québec peut légiférer le prix d’un litre de lait qui est vendu par des entreprises privées, on peut se demander pourquoi le prix final des médicaments est sans contrôle aucun pour le consommateur.

Le sondage sanofi-aventis 2010 nous apprend que 15 % des assurés hors Québec ignorent que le prix-c d’un médicament varie d’une pharmacie à l’autre et que ce pourcentage atteint un renversant sommet de 40 % au Québec. Si on demandait aux consommateurs s’ils croient que le prix d’un marteau ou d’un gallon de peinture varie d’une quincaillerie à l’autre, nous obtiendrions sans doute un pourcentage près de 100 %. On peut facilement estimer que les honoraires et les marges des pharmaciens représentent environ 60 % du prix-c d’un générique et que cette portion pourrait augmenter à 70 % voire 80 % à la suite de la baisse du prix-m; les consommateurs doivent être au courant de ce genre de données. Il y a un grand besoin d’éducation financière sur le commerce des médicaments, mais encore faut-il que les règles du jeu l’encouragent ou à tout le moins le permettent.

Il est grand temps que le secteur privé se solidarise et mette en place un mécanisme lui permettant de négocier d’égal à égal avec le gouvernement et les pharmaciens afin de faire modifier certains aspects de la Loi sur l’assurance médicaments et ainsi permettre à tous de jouer selon les mêmes règles. Afin d’être représentatif et crédible, un tel mécanisme doit être neutre en ce sens qu’il doit englober les employeurs, syndicats, assureurs, conseillers et courtiers et ne doit pas être identifié à un groupe particulier. s

Jacques L’Espérance est actuaire spécialisé en assurances collectives. À titre d’expert, il a participé à de nombreux panels et comités, dont le comité Monmarquette qui s’est penché sur la pertinence et la faisabilité d’un régime universel et public d’assurance médicaments.