Indispensables et avantageux pour les uns, inutiles et coûteux pour les autres, les soins paramédicaux font partie intégrante de la très grande majorité des régimes d’assurance collective au Canada. Mais la nette hausse de leur utilisation au cours des dernières années devrait-elle préoccuper les promoteurs soucieux d’optimiser la gestion des coûts de leur régime ?

Selon les résultats de la dernière édition du sondage Sanofi Canada sur les soins de santé, les services paramédicaux arrivent au deuxième rang au chapitre de la fréquence des demandes de remboursement, derrière les médicaments sur ordonnance. Au sein des services paramédicaux, c’est la massothérapie qui a connu la croissance la plus marquée.

L’engouement pour cette catégorie de soins, qui s’explique en partie par une tendance vers les médecines douces et l’explosion de l’offre sur le marché, ne semble toutefois pas être, pour le moment du moins, une source importante d’inquiétudes du point de vue des coûts.

« Pour l’instant je ne pense pas que la situation soit particulièrement sérieuse, mais bien sûr, tous les coûts peuvent devenir problématiques un jour ou l’autre », estime Maurice Doucet, associé chez Morneau Shepell, en précisant que des mesures de contrôle assez efficaces existent déjà dans les régimes bien conçus.

Comparativement aux coûts engendrés par les médicaments sur ordonnance, les montants dédiés aux soins paramédicaux peuvent effectivement sembler dérisoires. Actuellement, 75 à 80 % des coûts des régimes d’assurance collective proviennent des réclamations de médicaments.

« Pour une simple question de proportion et de volume, la préoccupation est vraiment du côté des médicaments, confirme Jean-Michel Lavoie, directeur, frais de remboursement des médicaments à la Financière Sun Life. Il faut demeurer vigilant du côté des soins paramédicaux, mais il n’y a pas de problème majeur à l’heure actuelle. »

Chez Industrielle Alliance par exemple, les services paramédicaux représentent 18 % du total des réclamations et 16 % des coûts, mentionne Jacques Parent, vice-président, assurance collective.

« Avec les médicaments, on s’assure d’avoir un bon rapport rendement/coûts, mais on n’en est pas encore là pour les soins paramédicaux », souligne pour sa part Nathalie Laporte, vice-présidente, développement, commercialisation et stratégie, assurance collective chez Desjardins Assurances.

Des mesures de contrôles strictes, mais équilibrées

Cela dit, de nombreuses voix dans l’industrie jugent nécessaire le déploiement de mesures de contrôle et de surveillance plus performantes pour assurer une saine gestion des services paramédicaux au sein des régimes. Pierre Marion, directeur de marché à la Croix Bleue Medavie, concède que les soins paramédicaux sont probablement la composante la moins contrôlée des régimes d’assurance collective à l’heure actuelle. « Il y a lieu de les encadrer de façon plus efficace, on va en arriver là », dit-il.

Déjà plusieurs mécanismes existent pour gérer efficacement les demandes de réclamation, comme les maximums remboursables par professionnel. De plus en plus, les assureurs regroupent également certains professionnels (physiothérapeutes et chiropraticiens par exemple) et établissent un maximum global pour tous les professionnels du groupe.

Cette dernière mesure a notamment été mise en place pour prévenir certains cas de fraude, comme l’explique M. Doucet. « Certains professionnels ont plusieurs spécialités et peuvent délivrer des reçus sans nécessairement identifier quelle spécialité a été utilisée lors du traitement. C’est pour éviter ce genre de situations que des mesures de contrôle doivent exister. On doit s’assurer de la pertinence de ce qui est réclamé. »

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Mais contrairement à la majorité des professionnels de la santé, beaucoup de professions offrant des soins paramédicaux ne sont pas régies par un ordre professionnel ou un quelconque encadrement juridique, ce qui complique la surveillance et le contrôle pour les assureurs. « Des entraîneurs personnels vont aller chercher une accréditation de naturopathe pour pouvoir délivrer des reçus pour les assurances. C’est de la fausse représentation », constate Pierre Marion.

« Les assureurs doivent mettre davantage d’efforts pour exercer un contrôle efficace dans les soins paramédicaux que dans les autres composantes des régimes », mentionne Jacques Parent.

Il existe par exemple plus d’une trentaine d’associations de massothérapeutes au Québec, certaines étant considérées comme moins « sérieuses » que d’autres. « Il y a un ménage incroyable à faire là-dedans, affirme M. Marion. On doit vérifier que ces associations ont un code d’éthique, de la formation continue et un nombre suffisant d’heures de formation initiale, par exemple. »

Décider de ne pas rembourser les soins prodigués par les professionnels de certaines associations peut toutefois amener des complications pour les promoteurs de régimes. « Il pourrait y avoir de la résistance de la part des employés qui consultaient un professionnel depuis des années, mais parce qu’il ne fait pas partie de la bonne association, n’est plus couvert par son régime », explique Pierre Marion.

À ce sujet, la communication avec les employés est un élément à ne pas négliger. « L’éducation des participants est primordiale. Ils doivent réaliser que plus l’utilisation des services est importante, plus les coûts vont augmenter », dit Maurice Doucet.

Pas nécessaire, le billet du médecin

Autrefois, certains régimes exigeaient que les services paramédicaux soient prescrits par un médecin, une mesure qui est beaucoup moins populaire aujourd’hui. « L’accès au système de santé est difficile, il peut s’écouler un long délai avant d’obtenir un rendez-vous avec un médecin », précise Maurice Doucet.

Une vision corroborée par Jacques Parent : « Ça deviendrait compliqué de demander des prescriptions pour tout. On peut voir les soins paramédicaux comme une soupape au système public de santé, dont l’accès est difficile. Les gens vont consulter ces professionnels en attendant. »

Chez certains assureurs qui n’exigent aucune preuve médicale d’office pour les demandes de réclamation, il s’agit néanmoins d’une option qui est offerte aux employeurs voulant exercer un contrôle plus serré.

Le sondage Sanofi a aussi constaté que l’utilisation des services paramédicaux était en nette hausse chez les familles des employés, particulièrement les services de massothérapie. « C’est une situation qui peut effectivement soulever quelques questions, mais on ne sort pas nécessairement du cadre d’une assurance collective. Ce qu’on offre à l’employé, on l’offre à sa famille aussi », soutient Pierre Marion.

« Le bien-être des membres de la famille est important aussi, renchérit Maurice Doucet. On doit cependant rester prudents face aux abus potentiels. J’ai déjà vu des scénarios où le participant atteignait son maximum, puis c’est le conjoint qui atteignait ensuite son maximum, suivi peu après des enfants. C’est un drôle de hasard ! »

Mais même si certains jugent que la gestion plus stricte des médicaments doit aussi s’appliquer aux autres composantes des régimes, dont les soins paramédicaux, Pierre Marion suggère aux promoteurs de planifier adéquatement l’implantation de telles stratégies. « Le contrôle efficace des coûts suppose l’application de plusieurs mesures qui globalement produisent un impact significatif sur l’expérience du participant. En bout de ligne, la décision [d’effectuer des contrôles plus serrés] revient aux employés et aux employeurs. »

Pertinents, les soins paramédicaux ?

Au-delà des questions de coûts et de contrôle, certains intervenants remettent régulièrement en doute la pertinence d’offrir des services paramédicaux au sein des régimes d’assurance collective. Tous les experts consultés s’entendent néanmoins pour dire que ces soins ont beaucoup de valeur aux yeux des employés.

« Il ne faut pas oublier que certains employés plus jeunes veulent voir la valeur de leur régime eux aussi, et comme ils sont de faibles consommateurs de médicaments, c’est souvent dans les soins paramédicaux qu’ils trouvent leur compte, avance Mme Laporte. Certains types de soins paramédicaux n’ont pas nécessairement une valeur thérapeutique clairement démontrée, mais ont quand même une valeur importante pour les employés. »

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Maurice Doucet partage le même avis : « C’est vraiment une question de perception individuelle. Évidemment, il y a certaines spécialités que personne ne remet en question, comme la physiothérapie. Pour les autres, les gens qui ont déjà eu une bonne expérience vont énormément valoriser ce type de traitements, alors que d’autres qui ne croient pas à la valeur médicale de certaines spécialités vont les considérer comme des dépenses inutiles. »

Il concède cependant que le lien direct entre les soins paramédicaux et la diminution de l’absentéisme ou l’augmentation de la productivité est parfois difficile à établir. « C’est certain que dans le cas des services associés davantage au mieux-être et au style de vie, on est plus dans une optique de rémunération globale, de récompense pour les employés. »

Mais la valeur scientifique et médicale des services paramédicaux est-elle prise en considération par les assureurs dans l’élaboration des couvertures ?

« On n’est pas encore arrivé au point où l’on se base sur des études scientifiques pour déterminer si la naturothérapie, par exemple, a un réel effet positif sur la santé des gens, répond Pierre Marion. À l’heure actuelle, la manière la plus efficace de s’assurer de la qualité des soins et de leur valeur ajoutée sur la santé des employés, c’est d’évaluer les associations. »

Une question d’objectifs

Que l’on soit un partisan ou un détracteur des soins paramédicaux, leur présence dans un régime d’assurance collective et les mesures de contrôle qui y sont associées doivent avant tout répondre aux objectifs du promoteur.

« Tout est une question d’objectif, dit Nathalie Laporte. Pour certains employeurs, un régime d’assurance est une forme de rémunération ou de récompense pour les employés. Pour d’autres, leur unique but est de maintenir les employés en bonne santé. Et entre ces deux extrêmes, il y a évidemment une multitude de possibilités. »

La question de la concurrence pèse aussi dans la balance, les employeurs voulant généralement offrir une couverture au niveau du marché.

« Si l’objectif est uniquement de conserver les employés en bonne santé, la question de la pertinence des soins paramédicaux peut effectivement se poser, mais c’est rarement le cas », ajoute Nathalie Laporte.

Quoi qu’il en soit, les promoteurs doivent avant tout se questionner à savoir s’ils remboursent des services qui ne vont absolument pas dans le sens des objectifs qu’ils se sont fixés. « Même s’il y a de la demande pour des traitements de zoothérapie, je ne suis pas sûr que les employeurs veulent couvrir tout ce qui existe en matière de santé et mieux-être », souligne Pierre Marion.

Si les grandes entreprises peuvent élaborer leur régime comme bon leur semble, les PME doivent généralement se contenter de blocs de couverture prédéterminés en fonction du marché. Pour autant, la décision de ne pas couvrir un service paramédical en particulier peut s’avérer délicate. « Les employés vont se demander pourquoi un professionnel est couvert et pas un autre. Le promoteur doit alors être capable d’expliquer clairement les raisons d’une telle décision aux participants, sans quoi, certains pourraient se mettre à dénigrer l’ensemble du régime », note Maurice Doucet.

« Les employés comprennent quand on prend le temps de leur expliquer les raisons de tel ou tel changement à la couverture, mais c’est vrai qu’il est très difficile de leur enlever des bénéfices », croit pour sa part Pierre Marion.

Le profil sociodémographique des employés de l’organisation devrait également être considéré par les promoteurs. Un employeur qui a une population très jeune pourrait par exemple décider d’accorder plus d’importance aux soins paramédicaux.

« L’idée est de s’assurer d’investir dans la productivité en donnant aux employés tous les bénéfices dont ils ont besoin pour offrir un bon rendement », résume Nathalie Laporte.

«Si des soins améliorent la santé des employés et permettent d’augmenter la productivité de l’organisation, il s’agit d’un investissement rentable. Tout est une question de compromis en assurance collective », conclut Maurice Doucet.

Les amateurs de massage peuvent donc se rassurer, le jour où la massothérapie sera écartée des régimes d’assurance collective n’est pas encore arrivé.

LES COMPTES DE SOINS DE SANTÉ, UNE POSSIBILITÉ À ENVISAGER

Les employeurs souhaitant séparer les couvertures de santé de base de celles essentiellement axées sur le mieux-être et le mode de vie, comme les soins paramédicaux, pourraient considérer la création de comptes de soins de santé pour leurs employés.

Les comptes de soins de santé sont dotés d’un montant maximal de remboursement annuel pour toute une gamme de soins, ce qui donne la latitude aux participants de choisir les services qu’ils veulent utiliser.

« Les employeurs ont la possibilité de couvrir ce qui est vraiment requis dans le régime d’assurance et mettre le reste dans un compte de soins de santé. Ils peuvent ainsi séparer les traitements très bien reconnus des autres pour mieux contrôler les coûts », explique Maurice Doucet.

Du côté des participants, les comptes de soins de santé sont généralement bien accueillis puisqu’ils offrent une flexibilité supérieure.

Mais selon le sondage Sanofi Canada sur les soins de santé, 57 % des participants possédant un compte de soins de santé ne l’ont pas utilisé au cours de la dernière année, et ceux qui l’on fait ont utilisé en moyenne seulement 50 % des fonds à leur disposition.

« Les comptes de soins de santé sont intéressants, mais peu utilisés par les employés, confirme Nathalie Laporte. Dans certains cas, ceux-ci ont plus de difficulté à réclamer, mais en général, ils ne sont pas suffisamment renseignés. Il est donc important pour les promoteurs de bien expliquer aux participants le fonctionnement de ce type de comptes. »

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